Les personnes âgées restent aujourd’hui particulièrement exposées aux risques liés à la prise de médicaments. La polymédication, l’évolution des capacités métaboliques et la fragilité croissante imposent une vigilance renforcée. Prévenir l’iatrogénie médicamenteuse constitue désormais un levier majeur pour préserver l’autonomie, réduire les hospitalisations évitables et garantir la sécurité des résidents en établissement comme à domicile. Cet article propose des repères actualisés, des outils concrets et des recommandations opérationnelles pour structurer cette prévention au quotidien.
Sommaire
- Iatrogénie médicamenteuse : comprendre les mécanismes et identifier les facteurs de risque
- Dispositif de veille et repérage précoce des signes d’alerte
- Coordination pluridisciplinaire et adaptation collective des réponses
- Formation des équipes et outils d’aide au repérage des risques
- Vers une culture de sécurité médicamenteuse partagée et durable
- Questions fréquentes sur la prévention médicamenteuse chez les personnes âgées
Iatrogénie médicamenteuse : comprendre les mécanismes et identifier les facteurs de risque
L’iatrogénie médicamenteuse désigne l’ensemble des effets indésirables provoqués par la prise de médicaments. Chez la personne âgée, ce phénomène s’explique par plusieurs facteurs biologiques et cliniques. Le vieillissement ralentit les fonctions rénales et hépatiques, modifiant l’élimination et la tolérance des principes actifs. La polymédication amplifie les risques d’interactions et d’effets cumulatifs.
Les facteurs de risque à surveiller
Plusieurs éléments augmentent significativement la probabilité d’accidents médicamenteux :
- Polymédication : prise simultanée de cinq médicaments ou plus.
- Pathologies multiples : consultations auprès de plusieurs spécialistes sans coordination optimale.
- Troubles cognitifs : difficulté à mémoriser les horaires de prise ou à comprendre les consignes.
- Déficiences sensorielles : vue ou audition diminuées compliquant la lecture des posologies.
- Difficultés de déglutition : risque de fausse route ou refus de prise.
- Isolement social : absence d’aide ou de surveillance rapprochée au domicile.
Selon les données nationales, près de 40 % des hospitalisations de personnes âgées sont directement liées à des événements indésirables médicamenteux.
Outils d’identification des médicaments potentiellement inappropriés
La liste REMEDI[e]S (anciennement LAROCHE) constitue la référence française pour repérer les médicaments potentiellement inappropriés (MPI) chez les 75 ans et plus. Cet outil guide les prescripteurs dans le choix de traitements adaptés, en signalant les molécules à risque accru d’effets indésirables ou d’interactions.
Les professionnels de santé doivent intégrer ces listes dans leurs pratiques quotidiennes :
- Vérifier régulièrement les ordonnances en cours.
- Identifier les MPI présents.
- Réévaluer systématiquement le rapport bénéfice/risque.
- Proposer des alternatives thérapeutiques si nécessaire.
Exemple terrain : un résident prenant un benzodiazépine à longue durée d’action présente des chutes répétées. La revue médicamenteuse permet d’identifier ce MPI et de proposer une molécule à demi-vie courte ou une approche non médicamenteuse.
Conseil opérationnel : organisez chaque trimestre une revue pluridisciplinaire des traitements pour chaque résident, en mobilisant médecin coordonnateur, IDE et pharmacien.
Dispositif de veille et repérage précoce des signes d’alerte
La prévention repose d’abord sur un système de veille actif permettant de détecter rapidement les signaux faibles annonçant un problème de prise médicamenteuse.
Signes d’alerte à surveiller au quotidien
Les équipes doivent rester attentives à plusieurs indicateurs concrets :
- Médicaments retrouvés au sol, sous le lit ou dans la poubelle.
- Confusion inhabituelle ou aggravation brutale de l’état cognitif.
- Chutes répétées sans cause identifiée.
- Plaintes récurrentes sur un traitement (goût, taille du comprimé, effets ressentis).
- Retour d’hospitalisation avec modification du traitement non expliquée.
- Refus de prise ou comportements d’évitement.
- Somnolence diurne excessive ou troubles du sommeil nouveaux.
Ces signaux doivent faire l’objet d’une traçabilité systématique dans le dossier du résident et déclencher une alerte auprès de l’IDE référent ou du médecin coordonnateur.
Échanges avec la personne accompagnée et son entourage
La parole du résident reste centrale dans le repérage. Encourager l’expression des difficultés, besoins et attentes constitue un levier majeur :
- Questionner systématiquement lors de la distribution : « Comment vous sentez-vous avec ce traitement ? »
- Observer les gestes, les mimiques, les signes de refus non verbalisés.
- Valoriser l’autonomie restante en impliquant le résident dans la gestion de ses médicaments (pilulier sous surveillance, rappels visuels).
L’entourage familial apporte également des informations précieuses sur l’évolution du comportement à domicile ou lors des sorties. Les aidants doivent être sensibilisés et formés aux signes d’alerte et aux bonnes pratiques de gestion médicamenteuse.
| Acteur | Rôle dans le repérage | Outil privilégié |
|---|---|---|
| Aide-soignant | Observation quotidienne, distribution surveillée | Grille de surveillance, traçabilité orale |
| IDE | Analyse des signes, coordination | Suivi clinique, dossier de soins |
| Médecin | Évaluation diagnostique, ajustement | Prescription, conciliation médicamenteuse |
| Pharmacien | Analyse pharmaceutique, conseil | Bilan de médication, détection MPI |
| Famille/aidant | Retour terrain, observation à domicile | Carnet de liaison, échanges informels |
Exemple terrain : une aide-soignante note trois jours de suite qu’une résidente cache ses comprimés dans sa serviette. Elle en informe l’IDE qui échange avec la résidente. Celle-ci explique avoir mal au ventre après la prise. Le médecin adapte la posologie et l’horaire. Le problème se résout en 48 heures.
Conseil opérationnel : mettez en place un carnet de liaison médicamenteuse partagé entre professionnels et famille pour tracer les observations et faciliter la communication.
Coordination pluridisciplinaire et adaptation collective des réponses
Face aux risques détectés, la réponse doit être collective, coordonnée et personnalisée. Aucun professionnel ne peut agir seul efficacement sur un sujet aussi transversal.
Organiser des réunions de concertation pluridisciplinaires
Les réunions de concertation structurent le partage d’informations et la prise de décision collective. Elles doivent respecter plusieurs principes :
- Fréquence régulière (mensuelle ou bimestrielle selon la taille de l’établissement).
- Participation des acteurs clés : médecin coordonnateur, IDE, pharmacien, cadre, AS référent, psychologue si nécessaire.
- Agenda préparé en amont avec les situations à risque identifiées.
- Traçabilité des décisions dans le dossier du résident et dans les comptes-rendus d’équipe.
- Respect strict de la confidentialité et du secret professionnel.
Ces temps permettent d’analyser les situations complexes, de croiser les regards et de définir ensemble des ajustements thérapeutiques ou organisationnels.
Formaliser les actions dans le projet personnalisé
Chaque adaptation doit être intégrée au projet personnalisé du résident. Cela garantit la traçabilité, la continuité et l’évaluation des actions mises en œuvre. Le projet doit préciser :
- Les objectifs poursuivis (ex : réduire la prise de benzodiazépines).
- Les moyens déployés (ex : consultation mémoire, protocole de sevrage, activités de relaxation).
- Les professionnels mobilisés et leurs rôles respectifs.
- Les indicateurs d’évaluation (fréquence des chutes, qualité du sommeil, niveau d’anxiété).
- Les échéances de révision (à trois mois, six mois).
Exemple terrain : un résident sous plusieurs antihypertenseurs présente des malaises fréquents. La concertation pluridisciplinaire conduit à une conciliation médicamenteuse avec le cardiologue référent. Le traitement est simplifié, le malaise disparaît en deux semaines. Le projet personnalisé trace l’ensemble du processus.
Impliquer le pharmacien dans la sécurisation du circuit
Le pharmacien joue un rôle stratégique dans la prévention de l’iatrogénie. Il intervient à plusieurs niveaux :
- Analyse pharmaceutique des prescriptions.
- Détection des interactions et des redondances.
- Proposition d’alternatives galéniques (formes liquides, écrasables).
- Participation aux réunions de concertation.
- Formation continue des équipes sur les nouveautés thérapeutiques et les risques émergents.
L’EHPAD : Comprendre le GIR Moyen Pondéré (GMP) influence directement les moyens alloués. La coordination renforcée avec le pharmacien contribue à optimiser la sécurité sans alourdir les coûts.
Conseil opérationnel : formalisez un contrat de coopération avec votre pharmacien d’officine ou hospitalier pour structurer son intervention régulière dans l’établissement.
Formation des équipes et outils d’aide au repérage des risques
La montée en compétences des professionnels constitue un levier incontournable pour ancrer durablement la prévention dans les pratiques quotidiennes.
Sensibiliser aux risques et aux bonnes pratiques
Les équipes doivent connaître les principaux facteurs de risque, les signes d’alerte et les outils disponibles. Une formation initiale et continue doit couvrir :
- Les mécanismes de l’iatrogénie chez la personne âgée.
- Les MPI et l’utilisation de la liste REMEDI[e]S.
- Les bonnes pratiques de distribution (vérification identité, traçabilité, respect horaires).
- La gestion des refus et des difficultés de prise.
- La communication avec le résident et son entourage.
- Les protocoles d’alerte et de signalement.
Les formations en ligne permettent une montée en compétences rapide et accessible. Consultez Quelles sont les 15 formations en ligne les plus utiles en EHPAD ? pour structurer votre plan de formation.
Utiliser des supports pédagogiques prêts à l’emploi
Pour homogénéiser les pratiques et garantir la conformité, plusieurs packs de formation clés en main facilitent le déploiement :
- PACK INTÉGRAL : Le Circuit du Médicament 100% Sécurisé : supports complets pour sécuriser chaque étape du circuit, de la prescription à l’administration.
- Le Pack « Mémos Terrain » EHPAD : Les 15 Essentiels en Affichage : repères visuels à afficher pour cadrer les réflexes d’équipe.
- PACK INTÉGRAL : Soins & Accompagnement Quotidien : fondamentaux des soins incluant la sécurité médicamenteuse.
Ces outils standardisent les pratiques, réduisent les erreurs et renforcent la culture sécurité au sein de l’établissement.
Intégrer la sécurité médicamenteuse dans les audits internes
Les audits réguliers permettent de mesurer l’application des bonnes pratiques et d’identifier les écarts. Ils portent notamment sur :
- La traçabilité des administrations.
- Le respect des horaires de prise.
- La gestion des stupéfiants et des médicaments à risque.
- La tenue à jour des armoires à pharmacie.
- La vérification des dates de péremption.
- L’enregistrement des erreurs et des événements indésirables.
Les résultats doivent alimenter les plans d’action qualité et être restitués aux équipes pour favoriser l’amélioration continue.
Exemple terrain : un audit mensuel révèle des retards fréquents dans l’administration des traitements anticoagulants. Une réorganisation du planning des aides-soignantes (cf. Vers un nouveau souffle : l’optimisation du planning des aides-soignantes en EHPAD) permet de sécuriser ce créneau horaire.
Conseil opérationnel : programmez un audit mensuel de la traçabilité médicamenteuse et partagez les résultats en réunion d’équipe avec des objectifs d’amélioration chiffrés.
Vers une culture de sécurité médicamenteuse partagée et durable
La prévention de l’iatrogénie ne repose pas uniquement sur des outils ou des procédures. Elle exige une transformation culturelle impliquant l’ensemble des acteurs, du résident à la direction.
Impliquer activement le résident et ses aidants
Le résident reste acteur de sa santé. Favoriser son autonomie dans la gestion de ses traitements renforce l’observance et réduit les risques :
- Utilisation de piluliers adaptés avec code couleur.
- Mise en place de rappels visuels ou sonores.
- Éducation thérapeutique personnalisée (compréhension des pathologies, rôle de chaque médicament).
- Encouragement à exprimer ses ressentis et ses difficultés.
Les aidants doivent être formés et accompagnés. Des ateliers pratiques ou des supports écrits (fiches synthétiques, vidéos) facilitent leur appropriation des bonnes pratiques.
Intégrer la prévention médicamenteuse dans la certification HAS
La Certification des EHPAD en France : la checklist de la HAS des critères essentiels accorde une place centrale à la sécurité médicamenteuse. Les établissements doivent démontrer :
- La traçabilité du circuit du médicament.
- La formation continue des équipes.
- L’existence de protocoles de gestion des erreurs.
- La participation du pharmacien.
- L’implication du résident dans son projet de soins.
- La réalisation d’audits réguliers.
Anticiper ces exigences permet de structurer une démarche qualité robuste, reconnue et valorisable.
Développer une approche non médicamenteuse complémentaire
La réduction de la polymédication passe aussi par le recours à des alternatives non médicamenteuses pour certaines pathologies ou symptômes :
- Activités physiques adaptées pour limiter les traitements antalgiques.
- Approches psycho-corporelles (relaxation, musicothérapie) pour réduire anxiolytiques et hypnotiques.
- Prise en charge nutritionnelle personnalisée (cf. PACK INTÉGRAL : Nutrition, Plaisir & Sécurité du Repas) pour prévenir dénutrition et fatigue.
- Accompagnement adapté des troubles du comportement sans recours systématique aux psychotropes.
Ces approches doivent être formalisées, évaluées et intégrées au projet personnalisé.
Mesurer l’impact et piloter l’amélioration continue
La direction et l’encadrement doivent suivre des indicateurs clés de performance pour objectiver les progrès :
| Indicateur | Objectif | Fréquence de suivi |
|---|---|---|
| Nombre d’événements indésirables médicamenteux déclarés | Augmentation (meilleure détection) puis stabilisation | Mensuelle |
| Taux de résidents avec plus de 5 médicaments | Diminution progressive | Trimestrielle |
| Nombre de revues médicamenteuses réalisées | 100 % des résidents/an | Trimestrielle |
| Taux de formation du personnel sur le circuit du médicament | 100 % des soignants | Annuelle |
| Délai moyen de prise en charge d’une alerte médicamenteuse | < 48 heures | Mensuelle |
Ces indicateurs alimentent les comités qualité et orientent les plans d’action.
Exemple terrain : un EHPAD constate une baisse de 30 % des chutes après six mois de revue systématique des traitements sédatifs et une formation renforcée des équipes. Les résultats sont présentés en réunion plénière et valorisés auprès des familles.
Conseil opérationnel : intégrez la sécurité médicamenteuse comme axe prioritaire du projet d’établissement et communiquez régulièrement sur les résultats obtenus auprès des équipes, des familles et des instances.
Questions fréquentes sur la prévention médicamenteuse chez les personnes âgées
Comment repérer un médicament potentiellement inapproprié chez un résident ?
Utilisez la liste REMEDI[e]S et confrontez-la systématiquement aux ordonnances en cours. Le pharmacien et le médecin coordonnateur sont les interlocuteurs privilégiés pour cette analyse. Tout MPI identifié doit faire l’objet d’une réévaluation bénéfice/risque.
Que faire face à un refus répété de prise de traitement ?
Cherchez d’abord à comprendre la cause du refus : goût, taille du comprimé, effets indésirables ressentis, peur, troubles cognitifs. Adaptez la forme galénique si possible, ajustez les horaires, expliquez le bénéfice attendu. Impliquez le médecin pour envisager une alternative thérapeutique si le refus persiste.
Quelle fréquence recommandée pour les revues médicamenteuses ?
La recommandation actuelle est d’effectuer une revue complète au moins une fois par an pour chaque résident, et à chaque changement de situation clinique (hospitalisation, aggravation, apparition de troubles). Les résidents polypathologiques ou sous plus de cinq médicaments justifient une fréquence semestrielle.
Comment impliquer efficacement les familles dans la prévention ?
Organisez des ateliers d’information dédiés aux aidants sur la gestion médicamenteuse à domicile, les signes d’alerte et les bonnes pratiques. Proposez des supports écrits clairs et synthétiques. Encouragez les échanges lors des visites et valorisez leur rôle d’observation.
Mini-FAQ complémentaire
Qui doit signaler un événement indésirable médicamenteux en EHPAD ?
Tout professionnel témoin d’un effet indésirable doit le signaler à l’IDE référent ou au médecin coordonnateur. La déclaration peut également se faire via le dispositif national de pharmacovigilance pour contribuer à l’amélioration continue de la sécurité médicamenteuse.
Peut-on écraser tous les comprimés pour faciliter la prise ?
Non. Certains médicaments ne doivent jamais être écrasés (formes à libération prolongée, gastro-résistants). Le pharmacien doit systématiquement valider la possibilité d’écrasement et proposer des alternatives si nécessaire.
Quel lien entre GIR et sécurité médicamenteuse ?
Les résidents classés en GIR 2 ou GIR 3 présentent une dépendance élevée et souvent une polymédication. Leur suivi médicamenteux exige une vigilance renforcée, une aide systématique à la prise et une traçabilité rigoureuse pour prévenir les erreurs et les interactions.

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