Ehpad : le nouveau décret menace-t-il le rôle des médecins coordonnateurs ?

Décret du 4 septembre 2025 : les médecins coordonnateurs en Ehpad dénoncent une réforme qui redistribue leurs missions au profit des infirmiers coordonnateurs.

Le décret du 4 septembre 2025 suscite une vive inquiétude parmi les médecins coordonnateurs exerçant en Ehpad. Trois associations professionnelles et le Syndicat national de gérontologie clinique dénoncent une réforme qui, selon eux, viderait leur fonction de sa substance. Leur crainte ? Être cantonnés à un rôle de simple prescripteur tandis que l’essentiel de la coordination basculerait vers les infirmiers. Cette redistribution des missions pose la question cruciale de l’avenir de la médicalisation dans vos établissements, dans un contexte de tensions démographiques et budgétaires majeures.

Une réforme qui redistribue les cartes

Le décret du 4 septembre 2025 officialise les missions de l’infirmier diplômé d’État coordonnateur (IDEC) dans le Code de l’action sociale et des familles. Jusqu’alors, ce poste évoluait dans un flou réglementaire. Désormais, l’article D312-158-1 définit précisément ses responsabilités : coordination des soins au quotidien, encadrement des équipes soignantes, lien avec les familles et partenaires extérieurs, participation à la stratégie de l’établissement, prévention de la maltraitance.

Parallèlement, le médecin coordonnateur voit ses missions élargies par le décret 2025-897 et la loi Valletoux de 2023. Il peut désormais :

  • Assurer des prescriptions médicales directes à la demande des résidents
  • Effectuer un suivi médical en l’absence de médecin traitant
  • Recourir à la télécoordination pour assurer la continuité des soins

Cette double évolution vise théoriquement à répondre à la raréfaction des médecins généralistes intervenant en Ehpad. Mais sur le terrain, la perception est tout autre.

« Un mode dégradé de prise en charge »

Pour les organisations médicales mobilisées, ce texte opère un transfert déguisé de missions essentielles. Leur principale crainte : que le médecin coordonnateur soit progressivement réduit à un rôle de prescripteur, tandis que l’infirmier coordonnateur deviendrait le véritable pivot de l’organisation des soins.

« Le décret fait semblant de transférer une partie des missions vers les infirmières coordinatrices et tend à réduire le médecin coordonnateur à un prescripteur de médicaments. »

Cette redistribution soulève plusieurs inquiétudes concrètes pour vos établissements :

Risque n°1 : La fuite des médecins traitants
Les médecins coordonnateurs redoutent que cette évolution ne conduise les généralistes à se désengager encore davantage des Ehpad. Si le médecin coordonnateur devient le prescripteur principal, pourquoi maintenir l’intervention de médecins extérieurs ? Cette logique économique apparente cache un risque de rupture du lien médical avec les praticiens de ville.

Risque n°2 : La réduction des effectifs médicaux
Dans un contexte budgétaire contraint, la tentation pourrait être forte de réduire le temps de présence du médecin coordonnateur. Si l’essentiel de la coordination opérationnelle bascule vers l’IDEC, pourquoi maintenir un équivalent temps plein médical ? Cette logique comptable inquiète fortement les professionnels.

Risque n°3 : La télécoordination comme standard
Le développement de la télécoordination, présenté comme une réponse pragmatique à la pénurie médicale, est perçu par beaucoup comme un soins au rabais. Pour des résidents aux pathologies complexes, souvent polypathologiques, la présence physique régulière d’un médecin coordonnateur reste jugée indispensable.

Le point de vue des infirmiers coordinateurs

Le Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI) salue au contraire cette évolution. Après des années dans un flou juridique, l’IDEC obtient enfin une reconnaissance réglementaire claire de ses missions. Cette clarification répond à plusieurs enjeux :

  • Attractivité du poste : un cadre défini permet de mieux valoriser la fonction
  • Sécurisation juridique : les responsabilités sont officiellement établies
  • Organisation optimisée : chaque professionnel intervient dans son périmètre de compétences

Pour les syndicats infirmiers, cette réforme ne constitue nullement une démédicalisation, mais une clarification des rôles : au médecin coordonnateur la supervision médicale et les prescriptions complexes, à l’IDEC la coordination opérationnelle quotidienne.

Cette vision s’appuie sur un constat partagé : face à la pénurie médicale, l’organisation doit évoluer. L’IDEC devient le référent permanent, disponible au quotidien, tandis que le médecin coordonnateur conserve une fonction d’expertise et d’arbitrage médical.

Deux visions de la coordination en Ehpad

Ce débat révèle deux conceptions différentes de l’organisation des soins dans vos établissements.

Modèle 1 : La coordination médicale forte

Cette approche défend le maintien du médecin coordonnateur comme pivot central de l’organisation. Arguments :

  • Les résidents présentent des pathologies complexes nécessitant une expertise médicale continue
  • La coordination implique des arbitrages médicaux quotidiens
  • Le lien avec les médecins traitants nécessite une relation confraternelle
  • La qualité de la prise en charge repose sur une présence médicale régulière

Modèle 2 : La coordination partagée

Cette vision privilégie une répartition des tâches entre professionnels. Arguments :

  • L’IDEC assure la coordination opérationnelle quotidienne (planning, transmissions, protocoles)
  • Le médecin coordonnateur se concentre sur l’expertise médicale (cas complexes, protocoles, formation)
  • Cette organisation optimise les compétences de chacun
  • Elle répond pragmatiquement à la démographie médicale

Dans vos établissements, vous êtes directement concernés par ces évolutions. Votre organisation interne devra probablement s’adapter pour clarifier les interfaces entre médecin coordonnateur et IDEC.

Les impacts budgétaires et organisationnels

Cette réforme s’inscrit dans un contexte financier particulièrement tendu pour le secteur. Plusieurs indicateurs interpellent :

Les chiffres clés à retenir :

  • 700 000 seniors supplémentaires en perte d’autonomie attendus d’ici 2050
  • 700 millions d’euros de déficit prévu en 2025 pour la branche autonomie
  • 2,8 milliards d’euros de déficit anticipé en 2028
  • 300 millions d’euros d’aide exceptionnelle aux établissements médico-sociaux (contre 100 précédemment)

Pour vos établissements, cette situation génère des tensions sur plusieurs fronts :

  1. Recrutement : difficulté à trouver médecins coordonnateurs et IDEC
  2. Budget : contraintes accrues sur les dépenses de personnel
  3. Qualité : exigence maintenue malgré les moyens limités
  4. Attractivité : nécessité de valoriser les postes malgré les contraintes

L’expérimentation de la fusion des sections soins et dépendance, poursuivie jusqu’au 31 décembre 2026, n’apporte pour l’instant aucune garantie sur l’évolution du point GIR ni sur la suppression du reste à charge pour les résidents.

Quelles conséquences concrètes pour votre établissement ?

Face à cette réforme, plusieurs scénarios d’adaptation se dessinent. Voici les points de vigilance à surveiller dans les prochains mois :

À court terme (6 mois)

  • Clarifier les fiches de poste du médecin coordonnateur et de l’IDEC
  • Organiser des réunions pour définir les circuits de décision
  • Formaliser les protocoles de coordination entre les deux fonctions
  • Anticiper d’éventuelles réorganisations d’équipe

À moyen terme (1 an)

  • Évaluer l’impact sur la présence médicale effective dans l’établissement
  • Mesurer le maintien (ou non) de l’intervention des médecins traitants
  • Ajuster l’organisation si des dysfonctionnements apparaissent
  • Former les équipes aux nouveaux circuits

Points de vigilance opérationnels

Pour sécuriser votre organisation :

  • Maintenez des temps de coordination formalisés entre médecin coordonnateur et IDEC (réunion hebdomadaire minimum)
  • Documentez précisément les circuits de décision (qui fait quoi, qui valide quoi)
  • Conservez des traces écrites des arbitrages médicaux complexes
  • Communiquez clairement auprès des familles sur l’organisation médicale
  • Surveillez les indicateurs de qualité (hospitalisations, chutes, escarres, douleur)

Perspectives et suite du débat

Les prochains mois seront déterminants. Plusieurs éléments à suivre attentivement :

1. Les décrets d’application
D’autres textes pourraient préciser les modalités pratiques de cette réorganisation. Restez attentifs aux publications au Journal officiel.

2. Les retours du terrain
Les premières expériences d’application du décret fourniront des éléments concrets sur son impact réel. Les réseaux professionnels seront essentiels pour partager les bonnes pratiques.

3. Les négociations tarifaires
La question du financement reste entière. L’enveloppe médico-sociale sera-t-elle suffisante pour maintenir une présence médicale de qualité ?

4. L’évolution des pratiques
La télécoordination va-t-elle effectivement se développer ? Avec quels outils, quelles garanties de qualité, quelle formation des professionnels ?

Cette réforme illustre la tension permanente entre contraintes budgétaires et exigences de qualité qui traverse le secteur médico-social. Pour les directeurs et cadres d’Ehpad, l’enjeu est de maintenir une prise en charge de qualité malgré un cadre contraint.

La clé résidera probablement dans votre capacité à construire localement une collaboration efficace entre médecin coordonnateur et IDEC, en valorisant les compétences de chacun plutôt qu’en les opposant. Le texte réglementaire pose un cadre, mais c’est dans vos établissements, au quotidien, que se jouera la réussite ou l’échec de cette évolution.

Restez vigilants, documentez vos pratiques, échangez avec vos pairs : ces trois principes vous permettront de traverser cette période de transition en sécurisant la qualité de prise en charge de vos résidents, priorité absolue quelles que soient les évolutions réglementaires.

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