La prise en charge des personnes âgées ne peut plus se concevoir dans l’isolement de chaque acteur. Les EHPAD, longtemps perçus comme des structures fermées, doivent aujourd’hui s’inscrire dans un réseau gérontologique territorial solide. La loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement a posé les bases d’une coordination renforcée, mais le défi reste entier : dépasser le cloisonnement des intervenants, partager l’information en temps réel et organiser des parcours fluides autour du résident. Pour les directeurs et IDEC, développer cette coordination territoriale n’est plus une option mais une nécessité stratégique et éthique.
Sommaire
- Pourquoi la coordination territoriale est devenue incontournable pour les EHPAD
- Les outils partagés au service de la coordination : du papier au numérique sécurisé
- Organiser les partenariats avec les acteurs de santé du territoire : de la convention au quotidien
- Le rôle central du directeur et de l’IDEC dans la coordination territoriale
- Vers un territoire réellement intégré : anticiper les évolutions et pérenniser les dynamiques
- Pour un territoire de santé solidaire et centré sur la personne âgée
- FAQ : vos questions sur la coordination territoriale
Pourquoi la coordination territoriale est devenue incontournable pour les EHPAD
Le vieillissement de la population impose une mutation profonde des modèles d’accompagnement. Selon les dernières données de la DREES, plus de 600 000 personnes résident en EHPAD en France, avec un âge moyen d’entrée désormais supérieur à 86 ans et un GIR moyen pondéré en constante dégradation. Ces résidents cumulent polypathologies, handicaps cognitifs et vulnérabilités sociales.
Dans ce contexte, aucun établissement ne peut prétendre répondre seul à l’ensemble des besoins. Les hospitalisations évitables, les ruptures de parcours, les redondances d’examens ou les défauts d’information entre professionnels génèrent des coûts humains et financiers considérables.
La coordination territoriale est la clé d’une prise en charge globale, continue et respectueuse de la dignité de chaque personne âgée.
La loi ASV (Adaptation de la Société au Vieillissement) de 2015 a posé un cadre réglementaire clair. Elle encourage la structuration de réseaux gérontologiques et favorise la conclusion de conventions territoriales entre EHPAD, centres hospitaliers, HAD, services d’aide à domicile et médecins libéraux. Ces dispositifs permettent de formaliser les engagements réciproques, de définir des protocoles partagés et d’organiser des circuits de communication fiables.
Exemple concret : un EHPAD du Val-de-Marne a signé une convention avec le CHU local, l’HAD et deux réseaux de soins palliatifs. Résultat : diminution de 30 % des hospitalisations non programmées et amélioration de la satisfaction des familles, mesurée via enquêtes trimestrielles.
Les bénéfices directs pour l’établissement
- Réduction des hospitalisations inadéquates grâce à l’intervention rapide de professionnels spécialisés (HAD, gériatres, équipes mobiles).
- Sécurisation des décisions médicales par un partage d’expertise avec les médecins coordinateurs, pharmaciens, kinésithérapeutes.
- Meilleure lisibilité des parcours pour les familles, qui perçoivent une continuité rassurante.
- Valorisation de l’image de l’EHPAD comme acteur intégré dans un écosystème de soins territorial.
Conseil opérationnel : dressez une cartographie des acteurs gérontologiques de votre territoire (hôpitaux, HAD, CLIC, MAIA, réseaux, associations). Identifiez les contacts clés et initiez une première rencontre pour poser les bases d’une collaboration formalisée.
Les outils partagés au service de la coordination : du papier au numérique sécurisé
La coordination territoriale ne peut reposer sur des échanges téléphoniques aléatoires ou des fax égarés. Elle nécessite des outils partagés, sécurisés et conformes au RGPD, permettant un accès en temps réel aux informations essentielles.
Plusieurs solutions se sont imposées ces dernières années :
| Outil | Fonction principale | Acteurs concernés | Niveau de déploiement |
|---|---|---|---|
| DMP (Dossier Médical Partagé) | Centralisation des antécédents, traitements, allergies | Médecins, pharmaciens, urgences | National, accès volontaire |
| Plateforme Territoriale d’Appui (PTA) | Coordination de parcours complexes | IDEC, médecins coordonnateurs, gestionnaires de cas | Territorial, en développement |
| Messagerie sécurisée de santé (MSSanté) | Échange sécurisé d’informations médicales | Tous professionnels de santé | National, généralisé |
| Dossier de liaison d’urgence (DLU) | Transmission d’informations lors d’une hospitalisation | EHPAD, SAMU, hôpitaux | Local, support papier ou numérique |
Le DMP, bien que sous-utilisé, offre un potentiel considérable. Un IDEC peut y consigner les dernières prescriptions, les résultats d’analyses, les directives anticipées. En cas d’hospitalisation, le médecin urgentiste accède immédiatement à l’historique complet du résident, évitant examens redondants et erreurs médicamenteuses.
Les Plateformes Territoriales d’Appui (PTA) constituent une innovation majeure. Elles s’adressent aux situations complexes nécessitant l’intervention coordonnée de plusieurs acteurs. L’IDEC peut saisir une PTA pour organiser le retour d’un résident après hospitalisation, avec intervention d’un ergothérapeute, adaptation du logement en famille d’accueil, ou mise en place d’une HAD.
Exemple terrain : dans les Pays de la Loire, une PTA a permis d’organiser en 72 heures le retour en EHPAD d’un résident atteint de Parkinson, avec adaptation de sa chambre, formation de l’équipe soignante et intervention hebdomadaire d’un kinésithérapeute spécialisé.
Comment mettre en œuvre ces outils dans votre établissement ?
- Formez vos équipes : organisez une session de 2 heures sur l’utilisation du DMP et de MSSanté. Identifiez un référent numérique dans l’établissement.
- Intégrez ces outils dans vos procédures : lors de chaque admission, vérifiez l’ouverture du DMP. Lors de chaque hospitalisation, transmettez le DLU via MSSanté.
- Évaluez l’usage : mesurez mensuellement le taux d’utilisation du DMP et de MSSanté. Fixez des objectifs progressifs.
Conseil opérationnel : contactez votre Agence Régionale de Santé pour connaître les dispositifs d’accompagnement au déploiement des outils numériques et les financements disponibles (crédits FIR, appels à projets e-santé).
Organiser les partenariats avec les acteurs de santé du territoire : de la convention au quotidien
Signer une convention territoriale constitue une étape symbolique importante, mais elle doit se traduire par des actions concrètes et régulières. Le directeur d’EHPAD et l’IDEC jouent un rôle pivot dans l’animation de ces partenariats.
Identifier les partenaires prioritaires
Tous les acteurs n’ont pas le même impact sur la qualité de prise en charge. Priorisez les partenariats selon les besoins spécifiques de votre établissement :
- Centres hospitaliers de proximité : pour les hospitalisations programmées, les consultations spécialisées, les avis gériatriques.
- Hospitalisation à domicile (HAD) : pour les soins techniques lourds (perfusions, pansements complexes, soins palliatifs).
- Équipes mobiles de gériatrie : pour des évaluations gériatriques approfondies, des conseils thérapeutiques, des formations in situ.
- Réseaux de soins palliatifs : pour accompagner dignement les fins de vie, soutenir les familles, soulager les douleurs réfractaires.
- Pharmaciens d’officine ou hospitaliers : pour des revues de polymédication, l’optimisation des traitements, la détection d’iatrogénie.
- Services d’aide et d’accompagnement à domicile (SAAD) : pour préparer les admissions, organiser les retours à domicile, soutenir les aidants.
Exemple : un EHPAD de Bretagne a noué un partenariat avec un réseau de soins palliatifs. Chaque trimestre, une infirmière du réseau anime une réunion d’analyse de pratiques avec l’équipe soignante. Les situations complexes sont discutées, les protocoles antalgiques ajustés, les équipes soutenues émotionnellement.
Formaliser les engagements réciproques
Une convention efficace précise :
- Les objectifs communs : améliorer la continuité des soins, réduire les hospitalisations évitables, renforcer l’information des familles.
- Les modalités pratiques : fréquence des échanges, outils utilisés, interlocuteurs identifiés, circuits de transmission d’information.
- Les indicateurs de suivi : nombre d’hospitalisations évitables, délai de transmission des comptes-rendus, taux d’utilisation du DMP.
- Les engagements financiers éventuels : participation aux formations, mise à disposition de locaux, co-financement de postes.
Conseil opérationnel : organisez une réunion de lancement de partenariat en présence du directeur, de l’IDEC, du médecin coordinateur et des représentants des partenaires. Définissez ensemble un plan d’actions sur 12 mois avec trois indicateurs mesurables.
Le rôle central du directeur et de l’IDEC dans la coordination territoriale
Le directeur d’EHPAD porte la responsabilité stratégique de l’inscription de l’établissement dans son territoire. Il négocie les conventions, sécurise les financements, représente l’EHPAD dans les instances de concertation (CLIC, conseil territorial de santé, plateforme d’appui).
L’IDEC incarne le volet opérationnel de cette coordination. Il est l’interlocuteur privilégié des partenaires de santé, organise les parcours complexes, anime les réunions de synthèse, forme les équipes aux outils partagés.
Les missions clés de l’IDEC en matière de coordination
- Assurer la traçabilité : mise à jour du DMP, transmission systématique du DLU, utilisation de MSSanté.
- Piloter les parcours complexes : saisine des PTA, organisation de réunions de concertation pluriprofessionnelle.
- Former et sensibiliser les équipes : importance de la coordination, utilisation des outils, bonnes pratiques de communication.
- Garantir la qualité de l’information transmise : comptes-rendus structurés, synthèses claires, anticipation des besoins.
Question fréquente : Comment l’IDEC peut-il dégager du temps pour la coordination alors que les missions de soins quotidiennes sont déjà lourdes ?
Réponse : La coordination bien menée réduit à terme les urgences, les hospitalisations évitables et les ruptures de parcours, sources de stress et de charge de travail pour les équipes. Libérez 2 heures hebdomadaires dédiées à la coordination : un créneau fixe pour traiter les situations complexes, actualiser les dossiers partagés, échanger avec les partenaires. Cette organisation génère rapidement des gains de temps et de sérénité.
Relations avec les familles et approche éthique
La coordination territoriale ne concerne pas que les professionnels. Les familles doivent être informées, associées aux décisions, rassurées sur la continuité des soins. L’éthique impose de respecter les volontés de la personne âgée, de recueillir son consentement éclairé, de l’associer autant que possible aux choix qui la concernent.
L’IDEC et le directeur doivent :
- Expliquer clairement les partenariats noués, les outils utilisés, les circuits d’information.
- Recueillir les directives anticipées et les partager avec les partenaires via le DMP.
- Organiser des réunions de synthèse associant la famille, le médecin coordinateur, l’IDEC et éventuellement un partenaire extérieur (gériatre, infirmière HAD).
Conseil opérationnel : intégrez systématiquement dans le livret d’accueil une rubrique « coordination territoriale » expliquant les partenaires de l’établissement, les outils partagés, les droits du résident et de sa famille. Proposez aux familles une réunion annuelle d’information sur le réseau gérontologique local.
Vers un territoire réellement intégré : anticiper les évolutions et pérenniser les dynamiques
Le réseau gérontologique n’est pas une fin en soi mais un moyen au service de la qualité de vie des personnes âgées. Pour que la coordination territoriale soit durable, elle doit s’ancrer dans une culture partagée, portée par des instances de gouvernance stables et des financements pérennes.
Les leviers de pérennisation
- Participation active aux instances territoriales : conseil territorial de santé, CLIC, MAIA, contrats locaux de santé. Le directeur ou l’IDEC doit y représenter l’EHPAD, porter la voix du secteur médico-social.
- Développement de formations interprofessionnelles : organiser des journées de formation communes entre équipes d’EHPAD, HAD, médecins libéraux, pharmaciens. Ces rencontres renforcent la connaissance mutuelle, la confiance, les réflexes de collaboration.
- Évaluation continue : mesurer les impacts de la coordination via des indicateurs simples (nombre d’hospitalisations évitables, délai de retour des comptes-rendus, satisfaction des familles). Partager les résultats avec les partenaires pour ajuster les actions.
- Communication externe : valoriser les actions de coordination dans les supports de communication de l’EHPAD (site internet, rapports d’activité, réseaux sociaux). Cela renforce l’attractivité de l’établissement et la confiance des familles.
Exemple : un groupement d’EHPAD en région Auvergne-Rhône-Alpes a créé un observatoire territorial des parcours de santé. Chaque trimestre, les indicateurs sont consolidés et présentés aux partenaires. Les écarts sont analysés, des plans d’action correctifs définis. En deux ans, le taux d’hospitalisations évitables a baissé de 25 %.
Anticiper les évolutions réglementaires et technologiques
Le secteur médico-social connaît des transformations rapides. La généralisation du dossier de soins numérisé, l’interopérabilité des systèmes d’information, l’essor de la télémédecine et de la téléconsultation constituent autant d’opportunités pour fluidifier la coordination.
Les EHPAD doivent se préparer à :
- L’interopérabilité des logiciels métiers : choisir des solutions compatibles avec les standards nationaux (HL7, FHIR), permettant le partage automatisé de données avec les partenaires.
- La télémédecine intégrée : organiser des téléconsultations spécialisées (dermatologie, cardiologie, psychiatrie) pour éviter des déplacements pénibles et coûteux.
- L’intelligence artificielle au service de la coordination : des outils d’aide à la décision peuvent alerter l’IDEC sur des situations à risque (chutes répétées, dénutrition, polymédication), facilitant l’anticipation et la saisine des partenaires.
Conseil opérationnel : participez aux groupes de travail régionaux sur la transformation numérique du secteur médico-social. Restez informé des appels à projets lancés par l’ARS et la CNSA. Candidatez aux expérimentations pour bénéficier d’un accompagnement technique et financier.
Pour un territoire de santé solidaire et centré sur la personne âgée
La coordination gérontologique territoriale n’est pas un concept abstrait réservé aux experts. C’est une réalité quotidienne, à la portée de chaque EHPAD, qui transforme la qualité de prise en charge et le bien-être des résidents. Elle impose de dépasser les logiques de concurrence, de sortir du cloisonnement, d’accepter de partager l’information et de reconnaître l’expertise des autres acteurs.
Pour les directeurs et IDEC, c’est un investissement stratégique majeur. Il renforce la sécurité des décisions, améliore la satisfaction des familles, valorise l’image de l’établissement et contribue à redonner du sens au travail des équipes.
La loi ASV a tracé le chemin. Les outils existent. Les partenaires sont présents sur le territoire. Il ne reste qu’à franchir le pas, à tendre la main, à construire ensemble ce réseau gérontologique solide et humain qui place la personne âgée au cœur de toutes les attentions.
Checklist pour lancer votre démarche de coordination territoriale :
- [ ] Cartographier les acteurs gérontologiques de votre territoire
- [ ] Identifier un binôme directeur/IDEC référent coordination
- [ ] Organiser une première réunion de lancement avec 3 partenaires prioritaires
- [ ] Former les équipes à l’utilisation du DMP et de MSSanté
- [ ] Rédiger ou actualiser les conventions territoriales
- [ ] Définir 3 indicateurs de suivi et un tableau de bord trimestriel
- [ ] Intégrer la coordination territoriale dans le projet d’établissement
- [ ] Communiquer auprès des familles sur le réseau gérontologique mobilisé
FAQ : vos questions sur la coordination territoriale
Quels financements mobiliser pour développer la coordination territoriale ?
Plusieurs sources existent : les crédits FIR (Fonds d’intervention régional) de l’ARS, les appels à projets CNSA, les dotations médico-sociales. Certaines conventions territoriales prévoient des co-financements entre partenaires. Rapprochez-vous de votre ARS et du département pour connaître les dispositifs locaux.
Comment convaincre les équipes soignantes de l’intérêt de la coordination territoriale ?
Montrez-leur les bénéfices concrets : réduction des hospitalisations stressantes, meilleure qualité de prise en charge, soutien d’experts extérieurs, reconnaissance de leur travail. Impliquez-les dans les réunions de partenariat, valorisez leurs retours d’expérience. La coordination bien menée allège leur charge mentale.
Que faire si un partenaire ne respecte pas ses engagements ?
Organisez rapidement une réunion de recadrage en présence du directeur et de l’interlocuteur du partenaire. Rappelez les objectifs de la convention, identifiez les obstacles, proposez des solutions. Si la situation perdure, saisissez l’ARS ou les instances territoriales compétentes pour arbitrage.

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