Vers une deuxième journée de solidarité pour soutenir les Ehpad en difficulté

La situation financière des Ehpad en France est devenue une source majeure de préoccupation pour les pouvoirs publics, les professionnels de santé et les familles des résidents. Ces établissements, essentiels au bien-être des seniors, font face à des défis économiques croissants depuis plusieurs années. Face à cette réalité alarmante, le gouvernement envisage de nouvelles mesures…

La situation financière des Ehpad en France est devenue une source majeure de préoccupation pour les pouvoirs publics, les professionnels de santé et les familles des résidents. Ces établissements, essentiels au bien-être des seniors, font face à des défis économiques croissants depuis plusieurs années. Face à cette réalité alarmante, le gouvernement envisage de nouvelles mesures pour soutenir ces structures. Parmi les pistes étudiées, l’idée d’instaurer une deuxième journée de solidarité émerge comme une proposition centrale. Cette initiative suscite un débat intense entre partisans et opposants, soulevant des questions sur la solidarité nationale et l’implication des travailleurs.

Une crise financière sans précédent dans les Ehpad

Depuis plusieurs années, les Ehpad en France sont confrontés à une situation financière de plus en plus précaire. Selon un rapport sénatorial publié le 25 septembre 2023, la proportion des établissements en déficit est passée de 27 % en 2020 à 66 % en 2023. Cette augmentation de près de 40 points reflète une tendance alarmante pour le secteur.

Plusieurs facteurs expliquent cette dégradation financière. Tout d’abord, le vieillissement de la population entraîne une demande croissante de places en Ehpad, sans que les ressources allouées suivent cette progression. Les coûts de fonctionnement augmentent, notamment en raison de la hausse des charges salariales, de l’inflation des prix de l’énergie et des dépenses liées à la maintenance des infrastructures. De plus, la pénurie de personnel qualifié oblige les établissements à recourir à des intérimaires ou à proposer des primes pour attirer et retenir les soignants, ce qui alourdit encore les charges financières.

La pandémie de COVID-19 a également eu un impact significatif. Les Ehpad ont dû investir massivement dans des équipements de protection individuelle, des tests de dépistage et des mesures sanitaires pour protéger résidents et personnel. Ces dépenses imprévues ont creusé les déficits budgétaires. Par ailleurs, les restrictions de visites et les protocoles sanitaires ont parfois conduit à une baisse des admissions, réduisant ainsi les recettes des établissements.

Selon une étude de la Fédération Hospitalière de France (FHF) publiée en juin 2023, le déficit cumulé des Ehpad publics atteint près de 1 milliard d’euros. Les Ehpad privés et associatifs ne sont pas épargnés, avec des déficits significatifs menaçant leur viabilité. De nombreux établissements ont dû réduire leurs investissements, reportant des travaux de rénovation ou l’achat de matériel médical indispensable. Cette situation compromet la qualité de vie des résidents et met sous pression le personnel soignant, déjà confronté à des conditions de travail difficiles.

Les conséquences de cette crise sont multiples. Les résidents peuvent subir une diminution de la qualité des soins et des services offerts, impactant leur santé et leur bien-être. Le personnel soignant, en sous-effectif, doit faire face à une charge de travail accrue, conduisant à des risques d’épuisement professionnel et à une dégradation des conditions de travail. Les familles des résidents expriment leur inquiétude quant à la prise en charge de leurs proches, craignant une détérioration des services dans les Ehpad.

La proposition sénatoriale d’une deuxième journée de solidarité

Pour remédier à cette situation critique, la Commission des affaires sociales du Sénat a élaboré un rapport proposant plusieurs mesures pour soutenir les Ehpad. Parmi ces propositions, la création d’une deuxième journée de solidarité se distingue par son potentiel à générer des ressources financières substantielles. Cette journée supplémentaire de travail non rémunérée pour les salariés permettrait de collecter environ 2,4 milliards d’euros par an, entièrement dédiés au financement des actions en faveur des personnes âgées dépendantes.

Cette mesure s’inspire de la première journée de solidarité instaurée en 2004, après la canicule meurtrière de 2003. Cette journée avait permis de récolter des fonds pour améliorer la prise en charge des personnes âgées et handicapées, finançant des programmes d’aide à domicile, des formations pour le personnel soignant et des projets de modernisation des établissements.

Les rapporteures du rapport, Chantal Deseyne, Solanges Nadille et Anne Souyris, estiment que l’instauration d’une deuxième journée de solidarité est une réponse nécessaire à la crise actuelle des Ehpad. Elles soulignent que cette mesure permettrait de mobiliser rapidement des ressources sans augmenter les impôts ou les charges pour les entreprises. Les fonds collectés seraient utilisés pour :

Renforcer les effectifs en recrutant du personnel soignant et en améliorant les conditions de travail.

Moderniser les infrastructures, en finançant des travaux de rénovation et l’achat d’équipements médicaux.

Développer des programmes de formation pour améliorer la qualité des soins.

Mettre en place des initiatives innovantes, comme le développement de solutions numériques pour la prise en charge des résidents.

Cette proposition vise à instaurer une solidarité nationale, où chacun contribuerait à l’effort collectif pour soutenir les personnes âgées dépendantes. Les sénatrices rappellent que le vieillissement de la population est un enjeu majeur pour la société française, nécessitant des mesures ambitieuses pour y faire face.

L’ouverture du gouvernement à cette mesure controversée

Le ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, Antoine Armand, s’est montré favorable à cette proposition. Lors d’une interview sur LCI le 27 octobre, il a déclaré : « C’est une proposition très intéressante qu’on instruit, qu’il faut regarder de près ». Il a souligné que la France travaille moins que d’autres pays européens sur l’ensemble d’une vie et que pour renforcer le pays et créer de la croissance, une plus grande quantité de travail est nécessaire.

La mise en place de cette mesure s’inscrirait dans une politique visant à augmenter le temps de travail pour financer les besoins sociaux du pays. Le gouvernement cherche des solutions pour équilibrer les comptes publics tout en répondant aux défis du vieillissement de la population. La deuxième journée de solidarité apparaît comme un moyen de mobiliser des ressources sans alourdir la fiscalité générale.

Des experts économiques ont réagi à cette annonce. Certains soutiennent la mesure, arguant qu’elle permettrait de répondre rapidement aux besoins financiers des Ehpad. D’autres sont plus réservés, estimant que l’efficacité de la première journée de solidarité n’a pas été pleinement démontrée et que des solutions alternatives pourraient être envisagées.

Le ministre a également indiqué que des consultations seraient menées avec les partenaires sociaux et les acteurs du secteur pour évaluer les modalités de mise en œuvre. Il a insisté sur la nécessité d’un dialogue social pour assurer l’acceptabilité de la mesure par les salariés.

Les réactions vives des oppositions et des syndicats

La proposition d’instaurer une deuxième journée de solidarité a suscité des réactions contrastées. Les partis d’opposition ont vivement critiqué la mesure, la qualifiant d’injuste et contraire aux intérêts des travailleurs.

Ian Brossat, sénateur du Parti communiste français, a exprimé son opposition sur le réseau social X : « Avec eux, la “solidarité” n’est en réalité que celle des travailleurs au profit de ceux qui s’enrichissent en dormant ». Il dénonce une mesure faisant peser sur les salariés le poids du financement des Ehpad, sans solliciter les entreprises ou les plus aisés.

Le Rassemblement national, par la voix de son vice-président Sébastien Chenu, a également critiqué la proposition. Sur RTL, il a déclaré : « Hausse du délai de carence chez les fonctionnaires oui, nouvelle journée de solidarité non ». Il suggère d’autres pistes pour financer les Ehpad, comme la réduction des dépenses publiques ou la lutte contre la fraude fiscale.

Les syndicats se sont mobilisés contre la mesure. Denis Gravouil, représentant de la CGT, a estimé que « ce serait encore faire payer aux salariés, le fait de travailler gratuitement, y compris les plus pauvres ». Il rappelle que de nombreux travailleurs connaissent déjà des difficultés financières et que cette mesure aggraverait les inégalités.

La CFDT, tout en reconnaissant la nécessité de soutenir les Ehpad, a exprimé des réserves. Elle appelle à une concertation approfondie pour trouver des solutions ne pénalisant pas les salariés. La CFTC et FO partagent ces inquiétudes, soulignant que le travail gratuit n’est pas acceptable et que d’autres sources de financement doivent être explorées.

Les associations de défense des droits des personnes âgées, comme l’Union nationale des associations familiales (UNAF), sont partagées. Si elles reconnaissent l’urgence de la situation des Ehpad, elles craignent que la mesure ne soit pas suffisante pour résoudre les problèmes structurels du secteur. Elles appellent à une réforme globale du financement de la dépendance, impliquant une solidarité intergénérationnelle et une contribution de l’ensemble de la société.

Des économistes et sociologues ont également apporté leur éclairage. Certains estiment que la mesure pourrait avoir un effet limité si elle n’est pas accompagnée de réformes structurelles. D’autres soulignent que le recours au travail gratuit pose des questions éthiques et sociales, nécessitant de repenser le modèle de financement de la dépendance en France.

La proposition d’une deuxième journée de solidarité met en lumière les tensions profondes dans la société française, entre la nécessité de soutenir les personnes âgées et la protection des droits des travailleurs.

Vers une solution équilibrée pour les Ehpad

La crise financière des Ehpad est un problème systémique nécessitant des solutions globales et durables. Si la proposition d’une deuxième journée de solidarité offre une piste pour mobiliser rapidement des fonds, elle soulève des questions éthiques et des réserves légitimes de la part des salariés et des syndicats.

Le gouvernement est confronté à un défi majeur : trouver un équilibre entre le financement nécessaire des Ehpad et le respect des droits des travailleurs. La mise en place de cette mesure ne pourra se faire que dans le cadre d’un dialogue social approfondi, associant l’ensemble des parties prenantes.

D’autres pistes pourraient être explorées, comme une réforme fiscale plus équitable, une meilleure gestion des dépenses publiques ou une participation accrue des entreprises au financement de la dépendance. La création d’une cinquième branche de la Sécurité sociale, dédiée à la dépendance, est également une option évoquée par certains experts.

Le vieillissement de la population est un défi structurel pour la société française. Selon l’INSEE, la France comptera près de 20 millions de personnes de plus de 65 ans en 2030, contre 13 millions en 2020. La prise en charge de la dépendance est donc un enjeu majeur nécessitant une mobilisation collective.

En définitive, la question de la deuxième journée de solidarité dépasse le simple cadre financier. Elle interroge notre modèle de société, la place que nous accordons à nos aînés et la manière dont nous envisageons la solidarité nationale. Il est essentiel que le débat se poursuive, dans un esprit constructif, pour aboutir à des solutions efficaces, justes et acceptables pour tous.