Les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) traversent une crise de confiance depuis plusieurs scandales mettant en cause des groupes privés lucratifs. Des enquêtes ont révélé des maltraitances et des malversations financières dans certains établissements, symptomatiques d’un modèle focalisé sur la rentabilité au détriment de la qualité des soins . Face à ce constat, une alternative émerge : les sociétés coopératives et participatives (Scop). Imaginer un EHPAD géré par ses salariés, où chaque soignant a voix au chapitre et où les excédents sont réinvestis dans le bien-être des résidents et du personnel. Ce scénario n’est plus utopique : le statut Scop offre un cadre juridique propice à une gestion plus humaine et transparente. Pourquoi la Scop serait-elle le modèle le plus approprié pour piloter un EHPAD ? Plus d’implication des salariés, moins de maltraitance, amélioration des rémunérations, investissements accrus dans les infrastructures… Cet article fait le point, avec des données concrètes et des exemples inspirants, sur les vertus du modèle coopératif appliqué au secteur médico-social.
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Sommaire
- Un modèle actuel en question dans les EHPAD privés
- Ecoutez notre podcast sur les ehpad en statut scop
- Principe de la Scop : des salariés aux commandes
- Des salariés engagés et responsabilisés
- Rémunérations et conditions de travail valorisées
- Investir dans la qualité de prise en charge plutôt que dans les profits
- Un impact direct sur la bien-traitance des résidents
- Des exemples inspirants dans le médico-social et au-delà
- La Scop, une solution d’avenir pour les EHPAD
Un modèle actuel en question dans les EHPAD privés
Les scandales récents ont mis en lumière les dérives possibles d’une gestion purement lucrative des maisons de retraite. Dans certains groupes privés d’EHPAD, les pressions pour réduire les coûts ont conduit à des pénuries de personnel, des économies drastiques sur la nourriture ou les soins de base, et finalement à de la maltraitance institutionnelle. La parution en 2022 du livre Les Fossoyeurs a révélé comment un grand groupe avait maximisé ses profits « sur la maltraitance », selon l’expression d’un rapport parlementaire, en rationnant les produits d’hygiène ou en sous-payant ses soignants. L’émotion suscitée a été immense : le gouvernement a ordonné l’inspection de l’ensemble des 7 500 EHPAD de France pour « recréer la confiance » . Plus de 50 établissements se sont vus infliger des sanctions graves (fermetures, mises sous tutelle) pour des dysfonctionnements majeurs . Ce constat alarmant questionne le modèle d’organisation des EHPAD privés classiques, détenus par des actionnaires en quête de rendement.
Dans ce contexte, les gestionnaires et professionnels du secteur cherchent des solutions innovantes. L’objectif : concilier exigences de qualité de prise en charge, bien-être au travail des équipes et viabilité économique, sans retomber dans les travers d’une gestion centrée sur le profit à court terme. C’est là qu’intervient l’option coopérative. Et si les salariés eux-mêmes prenaient les rênes de l’établissement ? Ce changement de paradigme implique de repenser la gouvernance, la répartition des bénéfices et la finalité même de l’entreprise EHPAD. La Scop offre justement un cadre légal pour opérer ce virage en profondeur.
Ecoutez notre podcast sur les ehpad en statut scop
Principe de la Scop : des salariés aux commandes
Une Scop (société coopérative et participative) est une entreprise commerciale (SARL, SAS ou SA) dont les salariés sont les associés majoritaires et détiennent au minimum 51 % du capital ainsi que 65 % des droits de vote . La gestion y est démocratique selon le principe « une personne = une voix », quel que soit le nombre de parts détenues . Les grandes orientations, dont la répartition des résultats, sont votées en assemblée générale par les salariés-associés. Ce mode de gouvernance place d’emblée l’humain au-dessus du capital, en rupture avec le schéma classique où quelques actionnaires extérieurs décident en fonction de leurs intérêts financiers.
Dans une Scop, l’entreprise reste soumise aux impératifs de rentabilité économique – il faut couvrir les coûts et investir – mais sa finalité n’est pas de verser des dividendes maximum à des actionnaires absents. Au contraire, la priorité statutaire est donnée à la pérennité de l’activité et des emplois . Concrètement, les bénéfices annuels d’une Scop sont répartis en trois parts : une part « entreprise » pour les réserves, une part « salariés » sous forme d’intéressement, et éventuellement une part « associés » en dividendes. Au moins 25 % des bénéfices doivent être distribués aux salariés (même non associés) en complément de leur rémunération, et au moins 16 % affectés à la réserve légale . En pratique, ces proportions sont souvent bien plus élevées : en moyenne 40 à 45 % du résultat est redistribué aux salariés et autant réinvesti dans l’entreprise, tandis que la part versée aux associés (sociétaires) ne représente qu’environ 10 à 15 % . Surtout, la part attribuée aux sociétaires ne peut jamais dépasser celle allouée aux salariés ou aux réserves . Ce modèle de partage équitable des profits garantit que l’argent gagné par l’établissement sert d’abord l’amélioration de l’outil de travail et la reconnaissance des employés, plutôt que d’alimenter des dividendes externes.
Autre caractéristique : la Scop est par nature ancrée localement et non délocalisable. Il est impossible de vendre les parts de la coopérative sur un marché financier ou de transférer l’activité ailleurs en liquidant l’établissement . La propriété collective rend l’entreprise indépendante de grands groupes et protège son patrimoine au service de la communauté. Un EHPAD sous statut Scop ne risque donc pas d’être fermé pour optimiser un portefeuille immobilier : il appartient à ceux qui y travaillent et y résident, pas à des investisseurs volatils. Aucune Scop ne peut être vendue à un autre groupe comme une simple marchandise , ce qui garantit stabilité et pérennité pour la structure et ses résidents. Cette durabilité se retrouve dans les chiffres : le taux de survie des Scop à 5 ans atteint 79 %, bien supérieur à celui des entreprises classiques (61 %) . En évitant les logiques de rentabilité à court terme, les Scop gagnent en résilience et en longévité.
Des salariés engagés et responsabilisés
Placer les salariés au cœur de la gouvernance transforme profondément la dynamique de travail. Dans une Scop EHPAD, chaque employé – aide-soignant, infirmier, médecin coordonnateur, agent de service – peut devenir sociétaire et participer aux décisions stratégiques. Cette implication directe crée un climat de responsabilisation et de fierté d’appartenance. Les soignants ne sont plus de simples exécutants de directives venues d’en haut : ils sont co-gestionnaires de l’établissement. Cela change tout dans les attitudes.
Les personnels en Scop se sentent investis d’une mission collective. Ils savent que la qualité de leur travail aura un impact non seulement sur les résidents, mais aussi sur les résultats de la coopérative, donc indirectement sur leurs propres rémunérations et conditions de travail. Ce sentiment d’autonomie et de maîtrise redonne du sens au métier. La motivation s’en trouve renforcée, ce qui profite tant au salarié qu’au résident. D’après un baromètre OpinionWay, 85 % des salariés français estiment que le fonctionnement coopératif est une solution d’avenir pour concilier performance et critères humains . Ils sont même 77 % à déclarer qu’ils aimeraient un jour travailler au sein d’une Scop . Ce fort engouement reflète l’attrait d’un modèle donnant davantage de pouvoir aux employés.
Concrètement, un EHPAD en Scop peut instaurer des espaces de discussion ouverts où aides-soignants et direction sociétaire débattent des améliorations à apporter (organisation des plannings, projets d’animation, achats d’équipements…). Cette démocratie interne valorise les idées de terrain et améliore la réactivité. Par exemple, la Clinique CALME (Alpes-Maritimes), unique clinique de France gérée en coopérative, témoigne que « l’implication de l’ensemble du personnel permet d’améliorer la qualité des soins et la bonne gestion des coûts » . Le directeur de cette clinique spécialisée en addictologie souligne combien le modèle Scop a fédéré son équipe autour de valeurs éthiques partagées (honnêteté, transparence, responsabilité sociale) alignées sur la philosophie de l’établissement . Quand les soignants se sentent parties prenantes, les initiatives foisonnent et les efforts pour bien faire sont naturellement encouragés.
Cette gestion participative produit également un effet notable sur le turn-over du personnel. Un EHPAD coopératif aura tendance à mieux fidéliser ses équipes. Les salariés y bénéficient d’un environnement plus valorisant, d’une écoute de la hiérarchie (puisque la hiérarchie, c’est eux collectivement) et de perspectives d’évolution sans passer forcément par l’échelon supérieur traditionnel. Résultat : on observe dans les structures coopératives une plus grande stabilité des effectifs. L’exemple de l’EHPAD Sévileano à Cerizay (Deux-Sèvres) est éloquent : devenu coopérative en 2016, cet établissement d’une vingtaine de salariés connaît très peu de turn-over . Les aides-soignantes y restent en poste, attachées à « leur » maison de retraite qu’elles pilotent en commun. Cette stabilité est un cercle vertueux : les résidents retrouvent chaque jour des visages familiers, le savoir-faire s’accumule, l’esprit de famille se consolide. En comparaison, les groupes privés aux logiques purement financières peinent souvent à retenir des employés en quête de sens et de meilleures conditions – alimentant un turn-over élevé, facteur de désorganisation et de baisse de qualité.
Rémunérations et conditions de travail valorisées
Le statut Scop offre aussi des leviers pour mieux rémunérer les salariés d’EHPAD et reconnaître leur engagement. Dans la plupart des coopératives, une part significative des bénéfices annuels est reversée aux employés sous forme de prime de participation ou d’intéressement. Comme mentionné plus haut, 40 % en moyenne des excédents sont distribués aux travailleurs , qu’ils soient sociétaires ou non. Cette manne vient s’ajouter aux salaires de base, souvent modestes dans le secteur médico-social. Sur le terrain, cela peut représenter un 13ᵉ mois coopératif, voire davantage les bonnes années. Par exemple, une Scop qui dégagerait 200 000 € d’excédent sur une année et choisirait d’en attribuer 45 % aux salariés, reverserait 90 000 € de prime globale : de quoi verser près de 3 500 € brut à chacun si l’établissement compte 25 employés. Ce supplément de revenu est précieux pour des aides-soignantes au SMIC ou des infirmières souvent peu revalorisées. C’est un puissant facteur de motivation et de justice ressentie.
Par ailleurs, les Scop pratiquent généralement une politique salariale plus équitable. Les écarts de rémunération y sont contenus par des valeurs de solidarité. Là où de grands groupes peuvent avoir des rapports de 1 à 100 entre le salaire d’un agent de surface et celui du PDG, les coopératives limitent volontairement ces disproportions. La Scop Scop-TI (ex-Fralib, usine de thés et infusions reprise par ses ouvriers) a ainsi réduit l’écart de 1 à 220 du temps d’Unilever à seulement 1 à 1,25 une fois en coopérative ! . Autrement dit, dans cette entreprise autogérée, les salaires sont quasiment alignés, le plus élevé dépassant à peine le plus faible. Sans aller jusqu’à cet extrême, la plupart des Scop françaises maintiennent une fourchette raisonnable, souvent de 1 à 4 ou 1 à 5 entre les rémunérations les plus basses et les plus hautes . À titre d’illustration, la coopérative Ethiquable (165 salariés), spécialisée dans le commerce équitable, affiche un ratio de 1 à 4 et respecte aisément le plafond de 7 fois le SMIC fixé par son agrément d’entreprise solidaire . Transposé à un EHPAD, cela signifie que l’équipe de direction (souvent issue du personnel) ne s’octroiera pas des salaires faramineux pendant que les soignants triment au minimum. La réduction des inégalités au sein de l’établissement contribue à un climat social apaisé, où chacun se sent traité avec respect.
Au-delà du salaire, la coopérative peut investir dans l’amélioration des conditions de travail : embauche de personnel supplémentaire pour alléger les charges, achats de matériel ergonomique, formation continue… Tout cela est rendu possible par l’utilisation des réserves impartageables, alimentées chaque année. Rappelons qu’au moins 40 % du résultat est mis en réserve dans la plupart des Scop . Ce capital permanent ne peut être distribué, même en cas de sortie d’associé : il sert exclusivement à financer les développements futurs. Dans un EHPAD Scop, une partie de ces fonds peut être consacrée à revaloriser les métiers (passage à la semaine de 35 h effectives, majorations d’heures de nuit, etc.), à améliorer la restauration des soignants, ou encore à renforcer les effectifs en cas de besoin. Contrairement aux groupes cotés en bourse qui cherchent à minimiser la masse salariale, la coopérative aura tendance à réinvestir dans l’humain pour pérenniser l’activité. Cette approche de long terme crée un cercle vertueux : des employés mieux payés et outillés travaillent dans de meilleures conditions, ce qui réduit l’absentéisme et améliore la qualité de service, attirant ainsi une bonne réputation à l’EHPAD.
Investir dans la qualité de prise en charge plutôt que dans les profits
L’un des avantages majeurs du statut Scop pour un EHPAD est qu’il libère des marges de manœuvre financières en limitant la ponction du profit par des actionnaires. Les excédents non distribués en dividendes restent dans les caisses de la structure et peuvent être affectés à la mission première : l’accueil et le soin des personnes âgées. En clair, le moindre euro gagné sert en priorité à améliorer l’établissement, et non à rémunérer un capital éloigné. La loi impose d’ailleurs aux Scop de constituer des réserves impartageables abondées par plus de la moitié des bénéfices nets . Cet argent mis en réserve appartient collectivement à la coopérative : il devient un bien commun. Il peut financer des travaux de rénovation, l’achat de matériel médical moderne, la création de nouvelles activités pour les résidents, ou l’agrandissement de la structure en réponse aux besoins.
Le cas concret de l’EHPAD Nicolas Sévileano à Cerizay l’illustre parfaitement. En 2014, cette petite maison de retraite de 26 lits était menacée de rachat par un grand groupe privé, qui envisageait de la démanteler pour récupérer ses « autorisations de lits ». La mairie et l’association locale d’aide à domicile (ADMR) s’y sont opposées, déterminées à préserver ce service de proximité vital en milieu rural . La solution trouvée fut la création d’une Société Coopérative d’Intérêt Collectif (Scic), une forme de coopérative associant à la fois salariés, collectivité publique et acteurs locaux (association, habitants). Dès novembre 2016, la Scic « Habiter Autrement » a repris l’EHPAD, sauvegardant 19 emplois et 26 places d’hébergement . Cette initiative, une première en France, a démontré la capacité du modèle coopératif à maintenir un établissement à flot alors qu’il aurait pu disparaître . Six ans plus tard, le bilan est très encourageant : l’EHPAD est à l’équilibre financier et a pu lancer de grands travaux de rénovation de ses locaux grâce aux fonds propres accumulés . Ici, les profits n’ont pas été extraits par un siège lointain : ils ont servi à moderniser l’établissement pour le confort des résidents. La directrice adjointe explique que l’objectif est simplement “d’équilibrer la structure” sans chercher de bénéfices excessifs . Cet EHPAD coopératif réinvestit donc chaque surplus pour améliorer la vie quotidienne : par exemple, la cuisine a été entièrement refaite et ouverte sur la salle à manger, permettant aux résidents de participer à la préparation des repas, dans une ambiance conviviale . Ce type d’investissement, qui replace l’humain au centre, est rendu possible par le statut Scic/Scop et serait difficile à justifier dans un modèle dominé par la recherche de profit maximum.
Plus globalement, les Scop ont dans leur ADN une orientation long terme. Loin des exigences de rentabilité trimestrielle des fonds d’investissement, elles peuvent engager des dépenses aujourd’hui en vue de bénéfices sociaux ou économiques dans 5 ou 10 ans. La vision à long terme de l’activité est inscrite dans leurs principes coopératifs . Pour un EHPAD, cela signifie par exemple investir dans la prévention de la dépendance, la formation continue du personnel aux méthodes non médicamenteuses, ou l’achat de technologies (lits médicalisés high-tech, dispositifs de prévention des chutes, outils de stimulation cognitive) dont le retour sur investissement se mesure en qualité de vie des résidents plutôt qu’en chiffres immédiats. Un rapport récent de l’Assemblée Nationale souligne que la réaffectation statutaire des bénéfices vers les réserves favorise le réinvestissement constant dans l’outil de production, évitant le démantèlement et assurant une stratégie de long terme . En clair, une Scop EHPAD aura les moyens – et l’obligation morale – de maintenir ses infrastructures au meilleur niveau, là où un établissement privé classique pourrait rogner sur les dépenses d’entretien pour augmenter ses dividendes. Combien de maisons de retraite ont-elles différé des travaux ou limité l’achat de lève-personnes pour « faire de la marge » ? Ce travers n’a pas sa place en coopérative, où l’intérêt collectif prime sur l’intérêt particulier .
Un impact direct sur la bien-traitance des résidents
Ultimement, le statut coopératif profite aux premiers concernés : les personnes âgées accueillies. En effet, des soignants mieux considérés, mieux formés et plus stables dans l’établissement, ce sont des résidents mieux accompagnés. La qualité de la prise en charge en EHPAD dépend étroitement de l’engagement du personnel. Or, comme nous l’avons vu, une Scop stimule cet engagement par la participation aux décisions, les perspectives de partage des bénéfices et un cadre de travail plus juste.
Dans l’EHPAD coopératif de Cerizay, l’équipe a placé la bien-traitance au centre de son projet. Chaque trimestre, les salariés sociétaires s’y réunissent pour analyser leurs pratiques et s’interroger sur d’éventuelles situations de maltraitance involontaire, afin de les corriger au plus vite . Cette démarche continue d’auto-évaluation, née de la liberté de parole et de l’initiative permises par la coopérative, est un gage de qualité. Le personnel prend le temps avec chaque résident, sans subir les pressions d’une rentabilité imposée d’en haut. Une aide médico-psychologique de l’établissement raconte qu’elle peut désormais prévenir chaque geste auprès d’une dame de 90 ans avant de le faire, pour la rassurer, là où auparavant l’urgence managériale dictait souvent la précipitation . Le fait que l’établissement ne soit « pas secoué par le scandale Orpea » n’est pas dû au hasard . Sa gouvernance locale et participative crée un rempart contre les dérives : aucune instruction absurde de rationnement de couches ou de restrictions budgétaires aux dépens du bien-être n’émane d’un siège anonyme. Les décideurs, ce sont les soignants : ils ont à cœur de faire au mieux, car ils doivent en répondre devant leurs collègues associés, mais aussi parce qu’ils sont émotionnellement impliqués auprès des résidents.
Le modèle coopératif favorise également une ouverture sur l’extérieur bénéfique aux aînés. De par ses statuts, une Scop classique implique surtout les salariés, mais sa cousine la Scic (société coopérative d’intérêt collectif) permet d’intégrer d’autres parties prenantes (familles, bénévoles, collectivités, partenaires locaux) au sociétariat. Cela a pour effet de créer un écosystème bienveillant autour de l’EHPAD. Dans le cas de Versailles, le CCAS (Centre communal d’action sociale) a monté en 2012 une Scic baptisée Solidarité Versailles Grand Âge, réunissant la ville, une association dédiée au financement solidaire (Entreprendre pour Humaniser la Dépendance), l’hôpital local, une clinique privée à but non lucratif et même la famille d’un résident . Tous ont investi au capital pour construire une nouvelle plateforme de services gériatriques (hébergement Alzheimer, accueil de jour, SSIAD renforcé). Cette gouvernance partagée a apporté davantage de transparence et de lien avec les usagers : des proches de résidents siègent au conseil, la mairie garde un droit de regard, etc. La co-décision avec les familles et acteurs du territoire renforce la confiance et l’adéquation du service aux besoins réels . Un EHPAD coopératif peut donc devenir un véritable projet de territoire, impliquant la communauté et valorisant le rôle social de la maison de retraite, plutôt que d’être perçu comme un « mal nécessaire » opaque dont on redoute les dérives.
Enfin, signalons que des approches innovantes en bien-traitance sont souvent plus faciles à déployer en coopérative. La liberté d’initiative donnée aux équipes peut conduire à adopter des pratiques pionnières pour améliorer la vie des aînés. Par exemple, intégrer les résidents aux tâches du quotidien (comme à Cerizay où ils participent à la cuisine et à la décoration florale ), ouvrir l’établissement à des bénévoles du quartier, organiser des échanges intergénérationnels avec l’école locale… Autant d’actions qui, si elles ne figurent pas dans un compte de résultat, apportent du lien social et du bien-être. L’absence d’obsession du profit libère du temps et de l’énergie pour ce qui compte vraiment : la chaleur humaine et le respect de la dignité des personnes âgées. En ce sens, le statut Scop/Scic favorise une culture d’entreprise centrée sur la mission médico-sociale plutôt que sur des objectifs financiers. La bienveillance redevient la norme, soutenue par une organisation qui la promeut au lieu de l’entraver.
Si la gestion coopérative d’un EHPAD peut sembler novatrice, elle s’inscrit dans un mouvement plus large d’entreprises à mission humaine ayant adopté le statut Scop avec succès. Dans le secteur médico-social et sanitaire, on recense déjà plusieurs pionniers. Outre les cas de Cerizay et de Versailles évoqués, on peut citer la Clinique CALME à Cabris (06) – Centre de Soins de Suite en addictologie fondé en 1981 par une équipe de soignants visionnaires. Depuis plus de 40 ans, cette clinique fonctionne en Scop et accumule les reconnaissances de qualité : elle a obtenu pour la quatrième fois la certification de la Haute Autorité de Santé et s’est vu décerner un label « Droits du patient » pour son approche exemplaire . La pérennité de cet établissement coopératif est la meilleure preuve que le modèle Scop s’adapte parfaitement au secteur de la santé . Sa directrice atteste que jamais la clinique n’aurait pu se permettre un tel niveau d’exigence dans les soins si elle avait été soumise à des impératifs de rentabilité classiques.
Autre illustration, dans la petite enfance : la micro-crèche Pousse de Coton à Entraigues-sur-la-Sorgue (Vaucluse) a choisi dès sa création en 2014 de se constituer en Scop . Les quatre associées, aux compétences complémentaires, souhaitaient partager responsabilités et résultats, tout en portant des valeurs pédagogiques fortes (accueil Montessori, matériaux écologiques, alimentation bio) . Grâce à l’implication égale de chacune – il n’y a pas de patron vs employées, mais des associées qui discutent et se répartissent les rôles au quotidien – la micro-crèche a connu un succès immédiat, remplissant sa capacité et prévoyant déjà l’ouverture d’une deuxième structure en Scop face à la demande ! . Ce succès montre que le modèle participatif peut essaimer dans tous les domaines de l’action sociale, dès lors qu’il y a une volonté collective de “faire autrement”.
Même les services à la personne adoptent le virage coopératif. La coopérative Hestia dans les Alpes-Maritimes, première Scic d’aide à domicile de la région PACA, est issue de la transformation d’une association en 2013 . Son gérant, Claude Benassi, explique que le choix de la coopérative correspond parfaitement à l’esprit militant d’Hestia : « un modèle économique au service des salariés et pas seulement au profit d’actionnaires » . Le passage en Scic a permis de fédérer les salariés et de les impliquer autour d’un projet commun, en faisant progresser la démocratie dans l’entreprise . Priorité à l’emploi de qualité, formation régulière du personnel, et certification de service (Hestia est la première coopérative de services à la personne certifiée Qualité AFNOR) : là encore, les résultats concrets sont au rendez-vous . Hestia démontre qu’on peut conjuguer performance sociale et efficacité économique dans un secteur souvent précaire, grâce au statut coopératif.
En dehors du médico-social, de nombreux exemples de Scop prospères viennent conforter l’idée que ce modèle n’est pas réservé à une niche marginale, bien au contraire. Le mouvement Scop en France compte plus de 4 500 entreprises coopératives (Scop et Scic) employant près de 88 000 personnes . Ces sociétés couvrent des secteurs variés : industrie, BTP, services, commerce, ingénierie, etc. Des fleurons ont émergé, prouvant qu’une Scop peut atteindre une envergure nationale voire internationale tout en respectant ses valeurs. On peut citer le Groupe Up (ex-Chèque Déjeuner), spécialisé dans les titres-restaurant et solutions de paiement : créé en 1964 par des militants, ce groupe coopératif est aujourd’hui présent dans 30 pays avec plus de 3 600 salariés, tout en conservant sa gouvernance par les employés associés. Son chiffre d’affaires dépasse le milliard d’euros, et il redistribue chaque année une part significative de ses bénéfices à ses salariés et à des œuvres sociales. Dans un autre registre, la manufacture de verre Duralex, emblème du « made in France », a été sauvée de la faillite à l’été 2024 par ses salariés. 226 emplois ont ainsi été préservés via une reprise en Scop validée par le tribunal de commerce . Les ouvriers verriers, en concurrence avec des offres de rachat classique, ont convaincu les juges et les pouvoirs publics de la viabilité de leur projet coopératif, preuve de la crédibilité désormais reconnue de ce modèle. « On était tous derrière ce projet de Scop », déclarait soulagé le délégué syndical après la décision positive . Pour ces salariés, reprendre l’usine en main était l’assurance de maintenir l’outil de production local et de ne plus subir les errements de stratégies financières hasardeuses menées par des dirigeants éphémères. Cet exemple illustre qu’une Scop peut redresser une entreprise en difficulté grâce à l’implication du personnel et au soutien d’acteurs publics, là où d’autres repreneurs auraient probablement taillé dans les effectifs ou cédé aux sirènes de la rentabilité immédiate.
Ces succès multiples, du médico-social à l’industrie, en passant par la presse (pensons au journal Nice-Matin devenu Scop en 2014 sous l’impulsion de ses journalistes), convergent vers un même constat : la Scop n’est pas une utopie naïve, c’est un modèle qui fonctionne et qui apporte souvent des performances supérieures aux schémas classiques, tant sur le plan économique que humain . Comme le résume un article spécialisé, « ce sont les entreprises de demain » que représente le mouvement coopératif .
La Scop, une solution d’avenir pour les EHPAD
Replacer les EHPAD sous gouvernance coopérative apparaît aujourd’hui non seulement comme une idée séduisante, mais comme une solution viable et prometteuse face aux défis du vieillissement. Les bénéfices organisationnels et humains que nous avons détaillés – implication accrue des salariés, climat de confiance, meilleure utilisation des ressources financières, focalisation sur la qualité de soin – se traduisent in fine par un service amélioré aux personnes âgées et à leurs familles. À l’heure où la société réclame plus de transparence et d’éthique dans la prise en charge de nos aînés, le modèle Scop offre un cadre rassurant : transparence des comptes, décisions collégiales, ancrage territorial et finalité d’intérêt collectif. Autant de garde-fous contre les dérives qui ont terni l’image des EHPAD.
Il convient bien sûr de souligner que la transition vers une gestion coopérative doit être préparée et accompagnée. Tous les personnels ne deviennent pas spontanément des gestionnaires aguerris du jour au lendemain. Des appuis techniques (par les unions régionales de Scop, les collectivités, ou la Caisse des Dépôts qui a récemment montré son engagement en reprenant partiellement un grand groupe d’EHPAD en difficulté) seront nécessaires pour monter les dossiers, financer les reprises ou créations en Scop, et former les équipes à leurs nouvelles responsabilités. Néanmoins, la dynamique est enclenchée : plusieurs collectivités locales commencent à envisager la reprise de petits EHPAD privés par leurs salariés en Scic, afin de sécuriser l’offre d’hébergement sur leur territoire tout en améliorant sa qualité. Les pouvoirs publics montrent aussi des signaux positifs : fin 2020, l’Inspection des Affaires sociales recommandait de faciliter le développement des Scic dans le champ de la santé et du grand âge, reconnaissant leurs atouts en termes de gouvernance partagée et de financement participatif. Le mouvement coopératif est donc prêt à investir le secteur gérontologique.
En adoptant le statut Scop, un EHPAD se dote d’une mission qui va au-delà de la simple prestation commerciale : il devient un projet de société, réunissant soignants, soignés et communauté dans un but commun de bienveillance et de durabilité. Cette formule permet de gagner sur tous les tableaux : les salariés retrouvent du sens et une part juste des richesses créées, les résidents gagnent en considération et en qualité de soins, l’établissement consolide son ancrage local et ses performances sur le long terme. Tout le monde est gagnant à 100 %. Face aux enjeux colossaux du vieillissement de la population, qui exigent d’inventer des modèles soutenables humainement et financièrement, la coopérative d’EHPAD apparaît comme une voie d’avenir crédible. Ni tout à fait public, ni tout à fait privé lucratif, ce modèle hybride combine le meilleur des deux mondes : la souplesse entrepreneuriale et la vocation d’utilité sociale.
Les directeurs d’EHPAD, médecins coordonnateurs, cadres de santé ou infirmières responsables qui s’interrogent sur l’avenir de leurs établissements auraient donc tout intérêt à considérer cette option. Passer en Scop, ce n’est pas « sortir du système » – c’est au contraire entrer de plain-pied dans l’économie sociale et solidaire du XXIᵉ siècle, où performance rime avec gouvernance partagée. En redonnant les clés de la maison de retraite à ceux qui y vivent et y travaillent, on jette les bases d’une refonte profonde de la culture d’établissement. Plus d’implication des salariés, moins de maltraitance, une meilleure rémunération et plus d’investissements utiles : autant de promesses tenues par les Scop existantes, et que pourraient concrétiser les EHPAD de demain. L’essayer, ce serait probablement l’adopter – pour le plus grand bénéfice des aînés et de ceux qui les accompagnent au quotidien.

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