Lors d’un entretien d’embauche, on vous propose 2 100 euros bruts mensuels pour un poste d’aide-soignant. Le montant semble correct, vous signez. Trois mois plus tard, vous découvrez qu’une collègue embauchée avant 2020 gagne la même chose… alors qu’elle a bénéficié de la revalorisation Ségur en plus de son salaire initial. Bienvenue dans une pratique qui se généralise : l’intégration du Ségur dans le salaire de base. Cette technique légale mais déloyale vous prive d’une augmentation de 238 euros bruts mensuels financée par l’État. Voici comment ne pas vous faire avoir.
Sommaire
- Le mécanisme de l’arnaque : votre augmentation vient de l’État, pas de votre employeur
- Pourquoi cette pratique se généralise dans les EHPAD
- Comment détecter si vous êtes concerné
- La phrase magique à prononcer lors de votre négociation
- Les arguments pour exiger un salaire hors Ségur
- Que faire si l’employeur refuse de distinguer
- Les secteurs et établissements les plus concernés
- Ce que prépare la Convention Collective Unique
- Conclusion : votre Ségur ne doit pas enrichir votre employeur
Le mécanisme de l’arnaque : votre augmentation vient de l’État, pas de votre employeur
Pour comprendre la manœuvre, revenons au principe du Ségur. En 2020, l’État a débloqué 8,2 milliards d’euros annuels pour revaloriser les salaires des soignants. Cette prime de 183 euros nets mensuels (238 euros bruts dans le privé non lucratif, 210 euros dans le commercial) devait s’ajouter au salaire existant.
Le point crucial : ce financement est assumé à 70 % par l’État et la Sécurité sociale, 30 % par les Départements. Les ARS versent aux EHPAD des dotations spécifiques pour couvrir ce coût. L’employeur reçoit l’argent et le reverse aux salariés. Il ne paie rien de sa poche.
Mais lors d’un recrutement, certains employeurs proposent un salaire « tout compris » qui intègre déjà le Ségur. Un exemple chiffré montre l’ampleur du problème.
Situation avant Ségur (2019) : Une aide-soignante débutante gagnait environ 1 600 euros bruts selon la CCN 51.
Situation après Ségur pour les anciennes (2021) : Elle perçoit 1 600 + 238 = 1 838 euros bruts.
Situation pour une nouvelle recrue (2025) : L’employeur propose 1 838 euros bruts « Ségur inclus ». Elle gagne ce qu’elle aurait dû gagner sans vraie augmentation.
Le piège est parfait. La nouvelle salariée pense obtenir un salaire attractif. L’employeur, lui, ne débourse que le minimum conventionnel (1 600 euros) et empoche la différence. Il reçoit 238 euros de l’État pour cette salariée mais ne les reverse pas intégralement puisqu’ils sont déjà « inclus » dans le salaire annoncé.
Pourquoi cette pratique se généralise dans les EHPAD
Cette technique s’est répandue depuis 2022-2023 pour plusieurs raisons. D’abord, la pénurie de candidats donne l’impression aux employeurs qu’ils peuvent se permettre ces arrangements. Avec 210 000 postes à pourvoir d’ici 2030 dans le secteur, beaucoup de gestionnaires considèrent que « proposer un salaire correct » suffit, peu importe sa composition.
Ensuite, la complexité des grilles salariales joue en faveur des employeurs. Entre la CCN 51 (FEHAP), la CCN 66 (Nexem) et la convention de l’hospitalisation privée, les candidats ont du mal à connaître leur salaire de référence. Un directeur peut facilement avancer qu’il « propose au-dessus de la convention » alors qu’il intègre simplement le Ségur.
Troisièmement, les difficultés financières des établissements incitent à cette optimisation comptable. Avec 85 % des EHPAD publics déficitaires, les gestionnaires cherchent tous les leviers d’économie. Intégrer le Ségur dans le salaire proposé plutôt que de l’ajouter permet de réduire les écarts entre anciens et nouveaux, sans augmenter la masse salariale.
Enfin, le flou juridique facilite cette pratique. Aucun texte n’oblige l’employeur à distinguer clairement le salaire de base et le Ségur sur l’offre d’emploi. Tant que le montant global respecte le minimum conventionnel majoré du Ségur, l’employeur est dans les clous légalement.
Comment détecter si vous êtes concerné
Plusieurs signaux doivent vous alerter lors d’un entretien d’embauche ou à la lecture de votre contrat.
Signal n°1 : mention « Ségur inclus ». Si votre proposition salariale indique « 2 100 euros bruts, prime Ségur incluse », vous êtes dans le cas typique. Le Ségur ne devrait pas être « inclus » mais « ajouté ».
Signal n°2 : salaire pile au niveau Ségur compris. Comparez le salaire proposé avec les grilles conventionnelles de votre secteur. Si le montant correspond exactement au minimum conventionnel + 238 euros (ou 210 euros), c’est suspect.
Signal n°3 : absence de ligne séparée dans le contrat. Un contrat sain distingue le salaire de base (exemple : 1 600 euros) et la prime Ségur (238 euros). Si une seule ligne affiche 1 838 euros, méfiance.
Signal n°4 : refus de détailler. Si vous demandez à l’employeur de préciser la répartition et qu’il élude (« c’est un package global »), c’est mauvais signe.
Signal n°5 : différence avec les anciens. Interrogez discrètement vos futurs collègues sur leur rémunération. Si des aides-soignantes avec votre profil embauchées avant 2020 gagnent autant que ce qu’on vous propose, vous êtes floué.
La phrase magique à prononcer lors de votre négociation
Voici comment aborder la question frontalement lors de l’entretien : « Quel est le salaire de base hors Ségur que vous proposez ? »
Cette formulation met l’employeur face à ses responsabilités. S’il répond « Je propose 2 100 euros tout compris », relancez : « Je souhaite connaître le montant hors prime Ségur, car celle-ci est financée par l’État et doit s’ajouter au salaire conventionnel. »
Si l’employeur insiste sur un montant global, demandez un contrat détaillé avec deux lignes distinctes. Certains accepteront, d’autres tenteront de maintenir le flou.
Dans le secteur public, ce problème se pose moins car le CTI (Complément de Traitement Indiciaire) est automatiquement ajouté au traitement indiciaire selon votre grade. Mais dans le privé, tout est négociable.
Les arguments pour exiger un salaire hors Ségur
Vous devez défendre votre position avec des arguments solides lors de la négociation.
Argument n°1 : le Ségur n’est pas financé par l’employeur. C’est l’État qui paie via les dotations ARS. L’employeur ne fait que reverser l’argent reçu. Intégrer le Ségur dans votre salaire revient à vous priver d’un avantage financé par la collectivité.
Argument n°2 : l’égalité de traitement. Les salariés embauchés avant 2020 ont vu leur salaire augmenter de 238 euros bruts grâce au Ségur. Pourquoi les nouveaux devraient-ils être privés de cet avantage ?
Argument n°3 : l’évolution future. Si le Ségur est intégré dans votre salaire de base, vous partez d’un niveau plancher. Lors des augmentations annuelles (ancienneté, négociations), vous resterez toujours en retard par rapport aux collègues dont le Ségur s’ajoute.
Argument n°4 : la retraite. Dans certains cas, la distinction peut jouer sur les calculs de retraite complémentaire. Un salaire de base plus élevé améliore vos cotisations.
Argument n°5 : le principe. C’est une question d’éthique professionnelle. Le Ségur a été créé pour revaloriser le secteur, pas pour permettre aux employeurs de comprimer les salaires.
Que faire si l’employeur refuse de distinguer
Face à un refus catégorique, vous avez plusieurs options selon votre situation.
Option 1 : négocier une revalorisation équivalente. Si l’employeur maintient son « package global », exigez 238 euros bruts de plus. Passez de 1 838 à 2 076 euros bruts. C’est logique : vous réclamez le Ségur en plus du salaire proposé.
Option 2 : faire intervenir un syndicat. Contactez un délégué syndical de l’établissement ou une organisation externe (CGT, CFDT, FO). Ils peuvent interpeller la direction sur cette pratique et négocier collectivement.
Option 3 : saisir l’inspection du travail. Si le contrat ne respecte pas les minima conventionnels hors Ségur, vous pouvez signaler l’établissement. L’inspection vérifiera la conformité des pratiques salariales.
Option 4 : refuser le poste. C’est radical mais parfois nécessaire. Si l’employeur refuse toute transparence, cela en dit long sur ses pratiques de gestion. D’autres EHPAD respectent leurs salariés.
Option 5 : accepter en connaissance de cause. Par pragmatisme (besoin urgent du poste, peu d’alternatives locales), vous pouvez accepter. Mais renégociez dans 6 mois lors de votre entretien annuel en rappelant cette anomalie.
Les secteurs et établissements les plus concernés
Cette pratique ne touche pas uniformément tous les EHPAD. Le secteur privé commercial (Synerpa) est le plus concerné. Les grands groupes cotés optimisent leurs coûts salariaux. Les établissements déficitaires cherchent toutes les marges.
Le secteur associatif (FEHAP, Nexem) présente des pratiques mixtes. Les grosses structures appliquent parfois cette technique, tandis que les petites associations restent plus transparentes.
Le secteur public est globalement préservé. Le CTI s’ajoute automatiquement au traitement indiciaire. Mais certains établissements publics employant des contractuels de droit privé peuvent jouer sur l’ambiguïté.
Les zones en tension (grandes villes, déserts médicaux) voient cette pratique se développer. Quand 10 candidats postulent, les employeurs maintiennent la distinction. Quand 1 seul candidat répond à l’offre, la tentation est forte d’optimiser.
Ce que prépare la Convention Collective Unique
La négociation en cours de la CCUE (Convention Collective Unique Étendue) pourrait changer la donne. Le projet prévoit d’intégrer définitivement le Ségur dans les grilles salariales. Les 238 euros ne seraient plus une prime séparée mais fondraient dans le salaire de base.
Cette évolution clarifiera la situation mais comporte un risque. Si les nouvelles grilles ne sont pas suffisamment revalorisées, l’intégration du Ségur servira à masquer une stagnation salariale. Les syndicats négocient actuellement pour garantir que les nouveaux salaires de base égalent au minimum ancien salaire + Ségur.
La signature de cette CCUE est attendue pour le premier semestre 2026. D’ici là, la vigilance reste de mise lors de chaque recrutement.
Conclusion : votre Ségur ne doit pas enrichir votre employeur
Retenez ces trois principes lors de votre prochaine négociation salariale en EHPAD.
Principe 1 : Le Ségur est financé par l’État, pas par votre employeur. Il doit s’ajouter à votre salaire conventionnel, pas s’y substituer.
Principe 2 : Exigez toujours une proposition détaillée distinguant le salaire de base et la prime Ségur. Un employeur transparent acceptera cette demande légitime.
Principe 3 : Comparez votre offre avec les grilles conventionnelles de votre secteur et interrogez vos futurs collègues. L’information est votre meilleure arme.
La revalorisation Ségur représente 2 856 euros bruts annuels (238 × 12) dans le privé non lucratif. Sur une carrière de 30 ans, cela représente plus de 85 000 euros. Ne laissez personne vous priver de cette somme sous prétexte d’un « package attractif ».
Les professionnels qui ont obtenu le Ségur l’ont gagné par des années de mobilisation et de revendications. Les nouveaux entrants ont le droit de bénéficier intégralement de cette conquête sociale. À vous de la défendre lors de votre embauche.

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