En EHPAD, les pathologies respiratoires restent l’une des premières causes de dégradation brutale de l’état de santé des résidents. Près de 20 % des hospitalisations non programmées sont liées à un encombrement bronchique ou une pneumopathie. Pourtant, une partie de ces événements pourrait être évitée grâce à la kinésithérapie respiratoire préventive. L’enjeu est double : former les équipes soignantes aux techniques de drainage et aux manœuvres adaptées, tout en structurant un protocole clair et applicable au quotidien. Cet article propose des repères opérationnels pour déployer cette prévention dans votre établissement.
Sommaire
- Pourquoi intégrer la kinésithérapie respiratoire préventive dans le projet de soins en EHPAD
- Les principales techniques de drainage bronchique adaptées à l’EHPAD
- Qui forme, qui pratique ? Organisation et complémentarité des rôles en EHPAD
- Construire un protocole de kinésithérapie respiratoire opérationnel en EHPAD
- Matériel spécialisé et aides techniques : quand et comment les utiliser
- Passer de la théorie à la pratique : mobiliser et pérenniser l’engagement des équipes
- Vers une culture de la prévention respiratoire ancrée dans le quotidien
- FAQ : Questions fréquentes sur la kinésithérapie respiratoire en EHPAD
Pourquoi intégrer la kinésithérapie respiratoire préventive dans le projet de soins en EHPAD
Un levier reconnu pour prévenir les infections respiratoires
Les résidents d’EHPAD cumulent plusieurs facteurs de vulnérabilité : polymorbidité, troubles de la déglutition, mobilité réduite, immunosénescence. Ces fragilités exposent à un risque accru d’encombrement bronchique, qui évolue rapidement vers une pneumopathie sans intervention adaptée.
La kinésithérapie respiratoire préventive vise à maintenir la perméabilité des voies aériennes et à faciliter l’élimination des sécrétions. Elle repose sur des manœuvres manuelles ou instrumentales, associées à une prise en charge posturale et à l’éducation du résident ou de l’aidant.
Les recommandations de la Haute Autorité de Santé soulignent que la prévention de l’encombrement bronchique repose autant sur la kinésithérapie que sur l’hydratation, la surveillance clinique et la prévention des fausses routes.
Des bénéfices mesurables en termes de qualité de vie et de coûts évités
Plusieurs études montrent que l’intégration d’un protocole de kinésithérapie respiratoire dans les EHPAD réduit significativement le recours aux antibiotiques et les hospitalisations. Une étude menée en 2024 sur 18 établissements franciliens a montré une baisse de 30 % des pneumopathies nosocomiales après mise en place d’un programme structuré de drainage préventif.
Au-delà de l’impact sanitaire, cette démarche améliore le confort respiratoire des résidents, réduit la dyspnée et favorise le maintien de l’autonomie. Elle contribue également à la sécurisation du parcours de soins et répond aux critères de certification HAS liés à la prévention des risques infectieux.
Conseil opérationnel : Intégrez la kinésithérapie respiratoire préventive dans votre projet de soins dès l’admission, notamment pour les résidents classés en GIR 2 ou GIR 3, présentant des troubles neurologiques ou des antécédents respiratoires.
Les principales techniques de drainage bronchique adaptées à l’EHPAD
Techniques manuelles : l’Augmentation du Flux Expiratoire (AFE)
L’AFE est une technique douce, non douloureuse, particulièrement adaptée aux personnes âgées fragiles. Elle consiste à exercer une pression thoraco-abdominale synchronisée avec l’expiration du résident, afin de mobiliser les sécrétions vers les voies aériennes supérieures.
Étapes clés de l’AFE :
- Installer le résident en position semi-assise (45°) pour faciliter la mobilisation des sécrétions.
- Placer une main sur le thorax, l’autre sur l’abdomen.
- Accompagner l’expiration en exerçant une pression légère et progressive, de haut en bas.
- Répéter 5 à 10 cycles, en respectant le rythme respiratoire du résident.
- Terminer par une toux dirigée ou une expectoration assistée.
La toux provoquée et la toux dirigée
Chez certains résidents, la toux spontanée est inefficace ou absente (troubles neurologiques, fatigue respiratoire). La toux provoquée consiste à stimuler le réflexe de toux en appuyant légèrement sur la trachée ou en utilisant une technique d’aspiration douce.
La toux dirigée, elle, nécessite la coopération du résident. Elle consiste à lui demander d’inspirer profondément puis de tousser en plusieurs temps courts et efficaces.
Drainage postural et mobilisation passive
Le drainage postural exploite la gravité pour faciliter l’écoulement des sécrétions. Il consiste à positionner le résident de manière à ce que les zones encombrées soient en position déclive (supérieure par rapport au sol). Cette technique est particulièrement utile la nuit ou après un repas.
| Technique | Public cible | Fréquence recommandée |
|---|---|---|
| AFE | Tous résidents à risque | 2 à 3 fois/jour |
| Toux provoquée | Résidents peu coopérants | Selon encombrement |
| Drainage postural | Résidents alités | 1 fois/jour minimum |
| Mobilisation passive | Résidents grabataires | Quotidienne |
Conseil opérationnel : Créez une fiche technique de drainage plastifiée, avec photos et schémas, que vous afficherez dans les salles de soins. Elle servira d’aide-mémoire aux aides-soignants et infirmiers lors des relèves.
Qui forme, qui pratique ? Organisation et complémentarité des rôles en EHPAD
Le rôle du kinésithérapeute : formateur et référent technique
Le masseur-kinésithérapeute est le professionnel habilité à réaliser les techniques de kinésithérapie respiratoire. Il intervient sur prescription médicale, notamment en cas d’encombrement avéré ou de pathologie respiratoire chronique (BPCO, bronchectasies, séquelles d’AVC).
Mais au-delà de la prise en charge directe, son rôle doit évoluer vers une fonction de formateur interne. Il peut :
- Former les infirmiers et aides-soignants aux gestes simples de prévention (AFE lente, toux dirigée, installation).
- Superviser la mise en œuvre du protocole de kiné préventive.
- Participer aux réunions de coordination pour identifier les résidents à risque.
Les infirmiers : évaluation clinique et mise en œuvre des protocoles
L’infirmier assure la surveillance respiratoire quotidienne : fréquence respiratoire, saturation en oxygène, auscultation, observation des sécrétions. Il déclenche l’alerte en cas de signes d’encombrement et applique les protocoles de drainage validés en équipe pluridisciplinaire.
Il peut également réaliser certaines techniques de kinésithérapie de confort (drainage postural, toux provoquée) dans le cadre de son rôle propre, notamment lorsqu’aucun kinésithérapeute n’est présent dans l’établissement.
Les aides-soignants : acteurs clés de la prévention au quotidien
Les aides-soignants sont en première ligne. Ils détectent les premiers signes d’encombrement : bruits respiratoires, essoufflement au moindre effort, modification de la toux, baisse de l’appétit.
Formés aux gestes de base, ils peuvent :
- Installer correctement le résident pour favoriser le drainage.
- Encourager l’hydratation.
- Stimuler la mobilisation passive.
- Alerter l’infirmier dès l’apparition de signes précoces.
Question fréquente : Un aide-soignant peut-il pratiquer l’AFE ?
Oui, à condition d’avoir reçu une formation spécifique par un kinésithérapeute ou un IDEC formé. L’AFE reste une manœuvre douce et sécurisée, à condition de respecter les contre-indications (fracture récente, douleur thoracique aiguë, décompensation cardiaque).
Conseil opérationnel : Organisez une demi-journée de formation interne tous les 6 mois, animée par le kinésithérapeute référent ou un prestataire externe. Tracez la participation dans le dossier de formation des agents et intégrez cette compétence dans les fiches de poste.
Construire un protocole de kinésithérapie respiratoire opérationnel en EHPAD
Identifier les résidents à risque et personnaliser l’approche
Tous les résidents ne nécessitent pas la même intensité de prévention. Il est essentiel de stratifier le risque à l’admission, puis de réévaluer régulièrement.
Critères de risque élevé :
- Antécédents de pneumopathie à répétition.
- BPCO ou asthme mal contrôlé.
- Troubles de la déglutition documentés (cf. évaluation des risques de fausses routes).
- AVC avec séquelles respiratoires ou neurologiques.
- Grabatisation ou alitement prolongé.
Pour ces résidents, intégrez dans le dossier de soins un plan de kinésithérapie préventive, validé par le médecin coordonnateur et le kinésithérapeute.
Structurer le protocole en 4 niveaux d’intervention
| Niveau | Situation | Actions | Acteurs |
|---|---|---|---|
| Niveau 1 – Prévention de base | Tous résidents à risque modéré | Mobilisation quotidienne, hydratation, installation correcte | AS + IDE |
| Niveau 2 – Prévention renforcée | Résidents à risque élevé | AFE 2 fois/jour, drainage postural, toux dirigée | AS formé + IDE |
| Niveau 3 – Encombrement débutant | Sécrétions audibles, toux inefficace | AFE rapide, toux provoquée, auscultation quotidienne | IDE + kiné si disponible |
| Niveau 4 – Encombrement avéré | Dyspnée, désaturation, fièvre | Kiné sur prescription, aspiration si besoin, surveillance rapprochée | Médecin + IDE + kiné |
Traçabilité et évaluation de l’efficacité
Chaque séance de drainage doit être tracée dans le dossier de soins informatisé ou papier : heure, technique utilisée, tolérance du résident, efficacité (expectoration obtenue ou non).
Mettez en place des indicateurs de suivi :
- Nombre de résidents bénéficiant d’une kinésithérapie préventive.
- Taux d’infections respiratoires sur 6 mois (avant/après mise en place du protocole).
- Nombre d’hospitalisations évitées.
- Satisfaction des équipes (enquête annuelle).
Question fréquente : Faut-il une prescription médicale pour la kinésithérapie préventive ?
Non, si elle reste dans le cadre du rôle propre infirmier ou de gestes simples réalisés par les aides-soignants formés. En revanche, dès qu’un kinésithérapeute intervient (niveau 3 ou 4), une prescription médicale est obligatoire.
Conseil opérationnel : Nommez un référent kiné respiratoire parmi les IDEC ou IDE expérimentés. Il coordonne la montée en compétences, supervise les pratiques et fait le lien avec le kinésithérapeute libéral ou salarié.
Matériel spécialisé et aides techniques : quand et comment les utiliser
Les dispositifs mécaniques de drainage : utilité et limites
Plusieurs dispositifs peuvent compléter les techniques manuelles :
- Le Flutter ou l’Acapella : petits appareils portables qui génèrent des vibrations pour mobiliser les sécrétions. Ils nécessitent une coopération active du résident.
- L’insufflateur-exsufflateur mécanique (Cough Assist) : réservé aux situations de défaillance sévère de la toux, notamment chez les résidents atteints de pathologies neuromusculaires.
- L’aérosolthérapie : utilisée pour humidifier les voies aériennes et faciliter le drainage. Elle doit être prescrite et accompagnée d’une kinésithérapie de drainage pour être efficace.
L’importance de l’aspiration nasopharyngée et trachéale
L’aspiration endotrachéale ou nasopharyngée est un geste technique infirmier, parfois nécessaire lorsque le résident ne parvient pas à expectorer. Elle doit être réalisée avec précaution, selon un protocole strict : asepsie, réglage de la pression, durée limitée, oxygénation si besoin.
Contre-indications et vigilances :
- Ne jamais forcer en cas de résistance.
- Surveiller la tolérance (risque de bradycardie réflexe).
- Ne pas utiliser systématiquement : privilégier toujours les techniques non invasives en première intention.
Organiser l’accès au matériel et la maintenance
Dressez un inventaire du matériel disponible dans votre EHPAD :
- Nombre de dispositifs de drainage (Flutter, Acapella).
- Disponibilité d’un aspirateur de mucosités dans chaque unité.
- Stock de sondes d’aspiration stériles.
- Aérosols et nébuliseurs (entretien, renouvellement des filtres).
Planifiez un contrôle mensuel du matériel par l’équipe technique ou le référent hygiène. Formez les agents à l’entretien et à la désinfection du matériel réutilisable, selon les recommandations d’hygiène en vigueur.
Conseil opérationnel : Intégrez une ligne budgétaire dédiée au renouvellement du matériel de kinésithérapie respiratoire dans votre prévisionnel annuel. Pensez également à solliciter des subventions ARS pour des projets de prévention des infections nosocomiales.
Passer de la théorie à la pratique : mobiliser et pérenniser l’engagement des équipes
Lever les freins culturels et organisationnels
La mise en œuvre d’un protocole de kinésithérapie respiratoire préventive se heurte souvent à plusieurs obstacles :
- Manque de temps perçu par les équipes (notamment les aides-soignants).
- Représentation erronée de la kinésithérapie comme « réservée au kiné ».
- Absence de formation initiale sur le sujet.
- Turnover des équipes qui fragilise la transmission des compétences.
Pour y remédier, impliquez les équipes dès la phase de conception du protocole. Organisez des groupes de travail où chacun peut exprimer ses freins et proposer des ajustements. Valorisez les initiatives positives et partagez les premiers résultats obtenus.
S’appuyer sur des supports pédagogiques concrets
Les équipes ont besoin de supports visuels et pratiques pour intégrer durablement les gestes. Plusieurs ressources peuvent être mobilisées :
- Vidéos de démonstration (internes ou issues de formations en ligne).
- Fiches techniques plastifiées (cf. section 2).
- Ateliers en petits groupes avec mise en situation sur mannequin.
- Intégration dans le pack de formations en ligne de l’établissement.
Un pack de supports prêts à l’emploi peut également faciliter la standardisation des pratiques et gagner du temps dans la création de contenus internes.
Planifier et tracer les séances dans les plannings de soins
Pour que la kinésithérapie respiratoire préventive devienne une routine, elle doit être intégrée dans les plannings de soins, au même titre que les distributions de médicaments ou les soins d’hygiène.
Prévoyez des créneaux dédiés, par exemple :
- Matin : 10 minutes après la toilette pour les résidents à risque.
- Après-midi : drainage postural avant la sieste pour les résidents alités.
- Soir : toux dirigée avant le coucher.
Utilisez les outils de planification (papier ou numérique) pour affecter les séances et garantir la continuité, même en cas d’absence ou de remplacement. Cette rigueur organisationnelle contribue à l’optimisation globale du planning des aides-soignantes et réduit la charge mentale.
Mesurer et communiquer les résultats pour maintenir la dynamique
Rien ne motive plus les équipes que de voir concrètement l’impact de leur action. Présentez régulièrement (en réunion mensuelle, affichage, newsletter interne) :
- Le nombre de résidents accompagnés.
- La baisse des pneumopathies ou hospitalisations.
- Les retours positifs des familles.
- Les témoignages de résidents (amélioration du confort respiratoire).
Question fréquente : Comment convaincre la direction d’investir dans la formation et le matériel ?
Présentez un argumentaire chiffré : coût moyen d’une hospitalisation évitée (environ 3 000 €), économie d’antibiotiques, amélioration des indicateurs qualité pour la certification HAS, et impact sur l’attractivité de l’établissement auprès des familles.
Conseil opérationnel : Créez un tableau de bord trimestriel sur la kinésithérapie respiratoire, partagé en COPIL ou lors des instances représentatives du personnel. Il valorise l’engagement collectif et permet d’ajuster le protocole en continu.
Vers une culture de la prévention respiratoire ancrée dans le quotidien
Intégrer la kinésithérapie respiratoire préventive dans un EHPAD ne se résume pas à former quelques soignants ou acheter du matériel. C’est une transformation culturelle qui demande du temps, de l’accompagnement et une gouvernance impliquée.
Les bénéfices sont multiples : moins d’hospitalisations, amélioration du confort des résidents, réduction de la charge médicamenteuse, valorisation des compétences des équipes et conformité renforcée aux exigences réglementaires.
Pour réussir cette démarche, trois leviers sont indispensables : former, tracer et évaluer. Chacun de ces leviers repose sur des acteurs clairs (IDEC, médecin coordonnateur, kinésithérapeute référent) et des outils partagés (protocoles, fiches techniques, indicateurs).
N’attendez pas le prochain épisode infectieux pour agir. Mettez en place dès aujourd’hui un groupe de travail pluridisciplinaire, identifiez vos besoins en formation et en matériel, et construisez un protocole adapté à votre réalité de terrain.
FAQ : Questions fréquentes sur la kinésithérapie respiratoire en EHPAD
Peut-on pratiquer la kinésithérapie respiratoire sans kinésithérapeute dans l’établissement ?
Oui, à condition que les infirmiers et aides-soignants soient formés aux gestes simples de drainage (AFE, drainage postural, toux dirigée). Le recours au kinésithérapeute devient nécessaire pour les situations complexes ou les pathologies chroniques nécessitant des techniques avancées.
Quelles sont les contre-indications absolues à l’AFE ?
Fractures récentes du thorax ou des côtes, pneumothorax non drainé, décompensation cardiaque aiguë, douleur thoracique intense non explorée. En cas de doute, demandez un avis médical avant toute manœuvre.
Comment financer la formation des équipes à la kinésithérapie respiratoire ?
Plusieurs dispositifs existent : plan de développement des compétences de l’établissement, formations financées par l’OPCO Santé, subventions ARS pour les projets de prévention des infections nosocomiales. Pensez également aux formations internes menées par le kinésithérapeute de l’établissement ou un prestataire externe mutualisé avec d’autres EHPAD du territoire.

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