Les escarres représentent l’une des complications les plus fréquentes et les plus redoutées en EHPAD. Selon les données de la Haute Autorité de Santé, leur prévalence atteint jusqu’à 15 à 25 % des résidents, avec un impact majeur sur la qualité de vie et un coût de prise en charge estimé entre 10 000 et 40 000 euros par plaie. Face à ce défi sanitaire et humain, seule une approche multidisciplinaire structurée permet de réduire efficacement l’incidence des lésions cutanées et d’améliorer durablement les pratiques de prévention.
Sommaire
- Comprendre les mécanismes et facteurs de risque des escarres en EHPAD
- Déployer une évaluation systématique des risques avec des outils validés
- Mettre en place un matériel adapté et des stratégies de repositionnement
- Former et coordonner les équipes pluridisciplinaires
- Transformer la prévention en culture d’établissement durable
- Mini-FAQ : Questions pratiques sur la prévention des escarres
Comprendre les mécanismes et facteurs de risque des escarres en EHPAD
Les escarres, aussi appelées ulcères de pression ou lésions de pression, résultent d’une ischémie tissulaire causée par une pression prolongée sur une zone cutanée, généralement au niveau des proéminences osseuses. Chez les résidents d’EHPAD, cette problématique s’inscrit dans un contexte de vulnérabilité accrue liée au vieillissement, aux comorbidités et à la dépendance.
Les facteurs de risque sont multiples et souvent intriqués. On distingue :
- Facteurs intrinsèques : âge avancé, dénutrition, déshydratation, diabète, incontinence, troubles cognitifs, déficit moteur
- Facteurs extrinsèques : immobilité prolongée, pression, friction, cisaillement, macération, matériel inadapté
- Facteurs contextuels : organisation des soins, formation des équipes, traçabilité des évaluations
Les résidents alités ou en fauteuil plus de 15 heures par jour présentent un risque multiplié par 4 de développer une escarre dans les 3 premiers mois.
La compréhension fine de ces mécanismes permet d’agir en amont. Par exemple, un résident dénutri avec un albuminémie inférieure à 30 g/L présente une fragilité cutanée majeure. De même, l’incontinence double associée à l’alitement crée un environnement propice à la macération et aux lésions par friction lors des changes.
Conseil opérationnel : Organisez chaque trimestre une formation de 30 minutes sur les mécanismes physiopathologiques des escarres pour les aides-soignants. Utilisez des schémas anatomiques simples et des photos cliniques anonymisées pour ancrer les connaissances dans le concret.
Déployer une évaluation systématique des risques avec des outils validés
L’évaluation du risque escarre constitue le socle de toute stratégie préventive. Elle doit être systématique, tracée et répétée selon des protocoles clairs définis par les recommandations HAS de 2020-2022 sur la prévention et le traitement des escarres.
Les échelles d’évaluation recommandées
Deux outils sont principalement utilisés en EHPAD :
| Échelle | Points forts | Limites | Population cible |
|---|---|---|---|
| Braden | Validée internationalement, 6 critères (perception sensorielle, humidité, activité, mobilité, nutrition, friction/cisaillement) | Nécessite formation initiale | Tous résidents |
| Norton | Simplicité d’utilisation, 5 critères | Moins fine pour résidents obèses | Personnes âgées |
| Waterlow | Intègre IMC et facteurs neurologiques | Plus complexe | Cas multifactoriels |
En pratique, l’échelle de Braden reste la référence en EHPAD. Un score inférieur ou égal à 16 sur 23 indique un risque modéré à élevé nécessitant des mesures préventives immédiates.
Quand et comment évaluer ?
La HAS recommande une évaluation :
- À l’admission : dans les 4 heures suivant l’entrée
- Quotidiennement pour les résidents à risque identifié
- Hebdomadairement pour les résidents à risque faible
- Après tout changement d’état : retour d’hospitalisation, chute, épisode de décompensation
L’évaluation doit être tracée dans le dossier de soins informatisé avec la date, le score obtenu et les mesures préventives décidées. Cette traçabilité garantit la continuité des soins entre les différentes équipes et sécurise juridiquement l’établissement.
Exemple concret : L’EHPAD Les Tilleuls a intégré l’échelle de Braden dans son logiciel de soins. Chaque matin, lors de la relève, l’IDE coordinatrice consulte le tableau de bord qui signale en rouge les résidents avec un score Braden ≤ 16. Elle valide alors avec l’équipe les mesures préventives en place et ajuste si nécessaire.
Conseil opérationnel : Créez un support plastifié au format A4 avec l’échelle de Braden simplifiée à afficher dans chaque office de soins. Organisez des ateliers pratiques mensuels où les soignants s’entraînent à coter des situations cliniques fictives.
Mettre en place un matériel adapté et des stratégies de repositionnement
Le matériel de prévention constitue un investissement rentable face au coût humain et financier des escarres constituées. Les recommandations HAS insistent sur l’importance d’un équipement adapté au niveau de risque évalué.
Le matériel de support : une graduation selon le risque
- Risque faible : matelas standard avec surmatelas mousse haute densité (35 kg/m³ minimum)
- Risque modéré : matelas à mémoire de forme ou mousse viscoélastique (réduction de pression 30-40 %)
- Risque élevé : matelas à air dynamique avec alternance de pression ou matelas à plots pneumatiques
- Fauteuil roulant : coussins de positionnement gel/mousse adaptés au profil morphologique
Le choix doit être individualisé selon le poids, la morphologie, la mobilité résiduelle et la tolérance du résident. Un matelas trop mou peut paradoxalement augmenter le risque chez une personne de faible poids en créant une position d’enfoncement défavorable.
Les protocoles de changements de position
La règle classique des changements de position toutes les 2-3 heures reste valable, mais doit être personnalisée :
- Évaluer la tolérance : certains résidents supportent mal les mobilisations nocturnes
- Privilégier les positions alternées : décubitus dorsal, latéral droit 30°, latéral gauche 30°
- Éviter la position semi-assise prolongée (cisaillement majeur au sacrum)
- Utiliser des coussins de positionnement pour maintenir les angles et protéger les zones à risque
- Tracer chaque changement sur une feuille de surveillance ou dans le dossier informatisé
Attention aux fausses bonnes pratiques : la position latérale à 90° augmente la pression sur le grand trochanter. Privilégiez systématiquement l’inclinaison à 30° avec un coussin de maintien dans le dos.
Quels dispositifs pour les talons et les zones spécifiques ?
Les talons représentent la deuxième localisation la plus fréquente des escarres après le sacrum. Des protections spécifiques sont indispensables :
- Coussins de décharge talonnière avec suspension complète
- Orthèses de positionnement souples
- Changements de position réguliers avec flexion légère des genoux
Exemple concret : L’EHPAD Bel Automne a investi dans 15 matelas à air dynamique pour les résidents Braden ≤ 14 et 30 coussins anti-escarres pour fauteuils. Le taux d’escarres nosocomiales est passé de 8,2 % à 2,1 % en 18 mois, avec un retour sur investissement calculé à 14 mois grâce à l’économie des pansements et des hospitalisations évitées.
Conseil opérationnel : Établissez une grille d’attribution du matériel en fonction du score Braden et intégrez-la dans votre protocole de prévention. Désignez un référent matériel qui vérifie mensuellement l’état des équipements et organise les maintenances préventives.
Former et coordonner les équipes pluridisciplinaires
La prévention des escarres ne peut reposer sur un seul professionnel. Elle nécessite une coordination fluide entre aides-soignants, infirmiers, médecin coordonnateur, diététicienne, kinésithérapeute et cadre de santé.
Définir les rôles de chaque acteur
| Professionnel | Missions prévention escarres |
|---|---|
| Aide-soignant | Toilette adaptée, changements de position, surveillance cutanée quotidienne, transmission immédiate |
| Infirmier | Évaluation Braden, prescription matériel, soins d’hygiène spécifiques, surveillance des zones à risque |
| IDEC | Coordination protocole, formation continue, audit des pratiques, tableau de bord |
| Médecin coordonnateur | Validation protocoles, prescription suppléments nutritionnels, adaptation traitements |
| Diététicienne | Dépistage dénutrition, enrichissement alimentaire, compléments protéinés |
| Kinésithérapeute | Mobilisation, verticalisation, conseil positionnement |
Cette répartition claire des responsabilités évite les zones grises et garantit qu’aucun aspect de la prévention n’est négligé.
Comment structurer la formation des équipes ?
Un programme de formation efficace comprend :
- Formation initiale obligatoire de 3 heures pour tout nouveau salarié
- Recyclage annuel de 1h30 avec mise à jour des recommandations
- Ateliers pratiques trimestriels : manipulation, positionnement, installation matériel
- Analyse des événements indésirables en réunion pluridisciplinaire mensuelle
- Référents escarres par unité formés spécifiquement (formation de 2 jours)
Souvent posée : Comment motiver les équipes face à une charge de travail déjà lourde ?
Montrez les résultats concrets. Créez un tableau de bord visuel avec l’évolution du nombre d’escarres, affiché en salle de pause. Valorisez les bonnes pratiques en réunion d’équipe. Organisez un challenge inter-unités avec remise symbolique pour l’unité sans escarre nosocomiale sur 6 mois. La reconnaissance du travail bien fait reste le meilleur levier de motivation.
L’importance de la transmission et de la traçabilité
Chaque observation doit être transmise immédiatement :
- Rougeur qui ne blanchit pas à la pression (stade 1)
- Phlyctène ou abrasion cutanée (stade 2)
- Modification de l’état général
- Refus alimentaire persistant
- Incontinence nouvelle
Les transmissions ciblées doivent préciser la localisation exacte, l’aspect de la peau, les mesures prises et la réévaluation prévue. La photographie tracée dans le dossier informatisé permet un suivi objectif de l’évolution.
Exemple concret : L’EHPAD Les Jardins a mis en place un système de binômes soignants avec un référent escarre par étage. Chaque mois, le référent anime 20 minutes de retour d’expérience sur les situations rencontrées. Cette pratique a réduit de 35 % le délai moyen de détection des lésions débutantes.
Conseil opérationnel : Créez une checklist quotidienne « Points de vigilance escarres » que l’aide-soignant coche lors de la toilette. Intégrez cette checklist dans votre logiciel de soins ou utilisez un support papier simple. Prévoyez une relecture hebdomadaire par l’IDE pour détecter les signaux faibles.
Transformer la prévention en culture d’établissement durable
Au-delà des protocoles et du matériel, la prévention efficace des escarres repose sur une culture de vigilance partagée par tous les acteurs de l’établissement, de la direction aux équipes de nuit, en passant par les agents hôteliers qui peuvent être les premiers à observer une rougeur lors de la réfection d’un lit.
Piloter la démarche par les indicateurs
Un pilotage efficace s’appuie sur des indicateurs mesurables :
- Taux de prévalence des escarres (nombre de résidents porteurs / nombre total de résidents)
- Taux d’incidence (nouveaux cas sur une période / nombre de résidents à risque)
- Taux d’évaluation Braden dans les 4h suivant l’admission
- Pourcentage de résidents à risque bénéficiant du matériel adapté
- Nombre de formations suivies par ETP soignant
Ces indicateurs doivent être suivis mensuellement en CODIR et présentés en CSIRMT. Tout écart par rapport aux objectifs déclenche une analyse des causes et un plan d’actions correctives.
Impliquer les familles et les résidents
Les familles sont des partenaires précieux. Informez-les sur :
- Les facteurs de risque spécifiques de leur proche
- Les mesures préventives mises en place
- Les signes d’alerte à surveiller lors des visites
- L’importance de la mobilisation et de l’alimentation
Un livret d’information « Prévenir ensemble les escarres » remis à l’admission facilite cette sensibilisation. Certains EHPAD organisent des ateliers familles-soignants pour expliquer les gestes de prévention.
Souvent posée : Que faire quand une escarre survient malgré toutes les mesures préventives ?
Une escarre peut survenir malgré une prévention optimale, notamment chez les résidents en fin de vie ou lors d’épisodes aigus (déshydratation sévère, choc septique). L’essentiel est de démontrer la traçabilité des évaluations et des mesures préventives. Organisez une réunion d’analyse de pratiques pour identifier d’éventuels axes d’amélioration sans culpabiliser les équipes. Documentez précisément la situation dans le dossier.
Auditer et améliorer en continu
Un audit annuel des pratiques permet d’identifier les écarts entre le protocole et la réalité du terrain. Cet audit peut être :
- Interne : grille d’observation remplie par l’IDEC sur 15 résidents tirés au sort
- Externe : faire appel à un prestataire spécialisé ou à un réseau de santé
- Croisé : entre EHPAD d’un même groupe ou territoire
Les résultats alimentent le plan d’amélioration continue de la qualité et le document unique d’évaluation des risques professionnels.
Mini-FAQ : Questions pratiques sur la prévention des escarres
Comment gérer la prévention chez un résident qui refuse les changements de position ?
Respectez le refus après information claire des risques. Tracez le refus dans le dossier avec la date, l’heure et les explications données. Proposez des alternatives : micro-mobilisations plus fréquentes, matelas à air dynamique haute performance, surveillance cutanée renforcée. Impliquez le médecin et la famille dans la discussion.
Quel budget prévoir pour le matériel de prévention ?
Comptez environ 800 à 1 200 € par matelas à air dynamique (achat) ou 80 à 150 € par mois (location). Pour un EHPAD de 80 lits avec 20 % de résidents à haut risque, l’investissement initial se situe entre 12 000 et 20 000 €. Ce coût est à mettre en regard du coût moyen d’une escarre constituée : 15 000 à 25 000 € pour les stades 3-4.
Comment intégrer la prévention dans une démarche de certification HAS ?
La prévention des escarres s’inscrit dans le critère 2.3 « Prévenir la survenue d’événements indésirables » du référentiel de certification. Préparez des preuves : protocole validé, grilles d’évaluation complétées, traçabilité des formations, indicateurs suivis, CREX sur événements indésirables. Montrez la dynamique d’amélioration continue avec des comparaisons sur 2-3 ans.

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