En France, le directeur d’un EHPAD a pour mission d’assurer la sécurité et la santé des résidents. Cette obligation est de moyens (et non de résultat) , ce qui signifie qu’il doit mettre en œuvre toutes les précautions raisonnables au vu des connaissances disponibles. En pratique, sa responsabilité pénale ne pourra être engagée que s’il commet une faute qualifiée (grave, délibérée ou inexcusable) . De même, sa responsabilité civile ne peut être retenue qu’en cas de faute lourde (d’une gravité exceptionnelle) . Les juges évaluent le comportement du directeur au regard du contexte (dispositifs de sécurité, contraintes sanitaires, moyens humains disponibles).
Sommaire
Responsabilité pénale du directeur
Le directeur peut être poursuivi pour diverses infractions pénales, notamment : la mise en danger de la vie d’autrui (art. 223‑1 C. pén.) et l’homicide involontaire (art. 221‑6 C. pén.). Selon le Code pénal, la mise en danger consiste à exposer délibérément un résident à un risque immédiat de mort par violation d’une obligation de sécurité . L’homicide involontaire vise la mort d’un résident par maladresse, imprudence ou négligence grave . Le directeur peut aussi être poursuivi pour maltraitance (violences ou abus sur une personne vulnérable) ou même des infractions financières commises dans la gestion de l’établissement (détournement de fonds, abus de faiblesse…) . En pratique, la loi du 10 juillet 2000 précise que la responsabilité pénale d’un dirigeant (auteur indirect) n’est engagée qu’en cas de faute qualifiée, tandis que le personnel soignant peut l’être sur simple faute . Autrement dit, la justice recherchera chez le directeur un manquement grave dans l’organisation ou la prévention (par exemple absence délibérée de consignes, carence catastrophique d’encadrement) avant de le condamner.
Tribunal judiciaire de Vannes (Morbihan). En mai 2024, l’EHPAD Le Laurier Vert et son directeur ont été condamnés pour homicide involontaire après le décès d’une résidente lors d’un transfert . Dans cette affaire du 16 mai 2024, le tribunal a relevé « une insuffisance de formation du personnel et l’absence de consignes claires » lors de l’utilisation d’un lève-malade . L’aide-soignante à l’origine de l’accident a été relaxée, mais l’établissement et son directeur ont été jugés responsables pénalement (6 mois de prison avec sursis) . Ce cas illustre que le directeur peut être poursuivi non pas parce qu’il a commis l’acte matériel, mais parce qu’il a gravement failli à son devoir d’encadrement. Plusieurs autres exemples récents confirment ce risque : en juin 2020 le directeur d’un EHPAD de Grasse (Alpes-Maritimes) a écopé d’un an de prison avec sursis pour homicide involontaire de cinq résidents touchés par le Covid ; en janvier 2023 celui d’un EHPAD de Courcelles-lès-Lens (Pas-de-Calais) a reçu quatre ans de prison pour maltraitance sur résidents . On a même vu des cas de détournement de fonds publics : en mars 2021, un directeur à Roanne (Loire) a été condamné à trois ans de prison pour avoir détourné environ 430 000 € destinés à construire un nouvel établissement .
Responsabilité civile du directeur
En parallèle, la famille d’une victime peut engager la responsabilité civile du directeur et/ou de l’EHPAD pour obtenir réparation financière du préjudice subi (dommage corporel, moral, etc.). Pour cela il faut démontrer un dommage, une faute et le lien de causalité. En général, seule une faute lourde de la direction (gravissime) suffit à retenir sa responsabilité personnelle . Par exemple, les juges exigent que soit apportée la preuve qu’un moyen de sécurité manifestement nécessaire (barrière de lit, chambres sécurisées…) n’a pas été mis en place alors qu’il l’aurait évité . En situation de crise sanitaire (Covid, canicule…), des familles ont attaqué les EHPAD pour manque de surveillance (fugues, suicides) après l’interdiction de visites. La jurisprudence observe que si le directeur démontre avoir pris toutes les mesures raisonnables (fermeture des portes extérieures, rondes régulières, etc.), sa responsabilité civile ne peut être retenue . Les juges rappellent aussi que la surveillance doit être adaptée à l’état du résident : un pensionnaire dément ou suicidaire impose une vigilance accrue, mais toujours au regard des moyens disponibles . Dans le cas cité ci-dessus (Vannes, 2024), le tribunal a souligné que c’était l’absence de formation (faute d’organisation) qui avait conduit à l’accident . En définitive, pour éviter la réparation civile, le directeur doit prouver qu’il a mis en œuvre les dispositifs de prévention adéquats .
Responsabilité de l’IDEC (infirmier coordonnateur)
L’infirmier diplômé d’État coordonnateur (IDEC) supervise les soins au quotidien. Il est tenu aux mêmes règles professionnelles qu’un infirmier : fournir des soins attentifs, consciencieux et conformes aux connaissances médicales . Comme tout soignant, il peut voir sa responsabilité civile engagée s’il commet une faute dans l’exécution des soins ayant causé un préjudice (erreur de médication, malveillance, etc.). En pratique, c’est l’EHPAD (employeur) qui indemnise les victimes d’une faute infirmière, sauf faute volontaire ou délibérée détachable du service . Sur le plan pénal, l’IDEC peut être poursuivi sur les mêmes chefs que ses collègues : par exemple, l’homicide involontaire en cas d’erreur mortelle ou la mise en danger d’autrui par imprudence . La jurisprudence rappelle que la responsabilité pénale d’un infirmier (coordonnateur ou pas) est strictement personnelle . En clair, chaque soignant doit répondre de ses actes ; il doit refuser tout ordre manifestement illégal pour ne pas se rendre complice . À titre d’exemple, quatre infirmières d’un EHPAD du Doubs ont été sanctionnées disciplinaires en 2019 pour des « décès suspects » de résidents (usage excessif de sédatifs) . Si aucune erreur matérielle n’est prouvée, l’Ordre infirmier peut toujours sanctionner une infraction déontologique liée à la coordination des soins.
Exemples de cas récents
- Mai 2024 – Vannes (56). Un directeur d’EHPAD et son établissement (56) ont été condamnés pour homicide involontaire après qu’une résidente de 59 ans est décédée suite à une chute lors d’un transfert. Le tribunal a relevé une « insuffisance de formation du personnel et l’absence de consignes claires » pour le lève-malade (condamnation confirmée en appel).
- Juin 2020 – Grasse (06). Le directeur d’un EHPAD a écopé d’un an de prison avec sursis pour homicide involontaire après la mort de plusieurs pensionnaires du Covid-19, illustrant la dangerosité d’un manquement grave à la sécurité sanitaire .
- Janv. 2023 – Courcelles-lès-Lens (62). Un directeur d’EHPAD a été condamné à quatre ans de prison (dont deux fermes) pour maltraitance de résidents (coups et blessures) .
- Mars 2021 – Roanne (42). Un directeur d’EHPAD a reçu trois ans de prison pour détournement de 430 000 € de fonds publics destinés à la construction d’un nouveau bâtiment .
Ces affaires montrent que le spectre des fautes reprochées est large, allant de la négligence grave dans les soins au détournement de fonds.
Prévention et réflexes de défense
Pour limiter les risques juridiques, il est crucial d’instaurer des procédures rigoureuses et traçables. Voici quelques bonnes pratiques :
- Délégation formalisée. Établir des délégations de pouvoir écrites, précisant qui prend quelles responsabilités . Sans délégation claire, le directeur reste personnellement responsable de tout manquement.
- Protocole et formation. Mettre par écrit les protocoles de soins et de sécurité (protocoles Covid, chutes, urgence médicale…). Organiser et conserver les attestations de formation du personnel (levées de transferts, hygiène, utilisation du matériel, etc.), afin de montrer que l’équipe était compétente.
- Suivi et traçabilité. Tenir à jour le dossier de soins personnalisé (DSP), le document unique d’évaluation des risques (DUERP) et tout enregistrement pertinent (rapports d’incident, rondes de nuit, réunions d’équipe). Une documentation précise est la meilleure défense en cas de plainte.
- Communication et conseil. Informer immédiatement la direction et l’assurance en cas d’incident grave, et consulter rapidement un conseil juridique. En situation de crise (pandémie, canicule…), suivre strictement les recommandations officielles et conservez-en les traces (emails d’instruction, notes de service).
- Assurance adaptée. Souscrire une assurance responsabilité civile professionnelle (RCP-PJ) couvrant à la fois la responsabilité civile et pénale des dirigeants d’EHPAD. Ces polices peuvent prendre en charge les frais de défense et d’indemnisation, même en cas de condamnation pénale (amendes, dommages et intérêts).
En somme, directeurs et IDEC doivent cultiver la prudence et la prévention : documenter rigoureusement leurs décisions, former leurs équipes et se conformer scrupuleusement aux normes. En cas de poursuites, la meilleure défense reste de démontrer que toutes les mesures de prévention possibles ont été prises . La judiciarisation croissante impose ainsi aux responsables d’EHPAD d’adopter une approche quasi « militaire » de la sécurité : planifier, former, contrôler et tracer en permanence pour se prémunir juridiquement.
Sources : Cadre légal (Code pénal, CASF), analyses juridiques et fiches professionnelles , et exemples récents de jurisprudence et d’actualité .

Vous devez être connecté pour poster un commentaire.