Réduire les chutes et la confusion en EHPAD grâce à un protocole de surveillance des psychotropes en 5 étapes

Découvrez comment sécuriser l’usage des psychotropes en EHPAD : surveillance neuropsychiatrique, gestion des effets secondaires et protocoles de sevrage progressif.

Les psychotropes représentent aujourd’hui près de 45 % des prescriptions en EHPAD selon la Haute Autorité de Santé. Neuroleptiques, benzodiazépines, antidépresseurs : leur usage prolongé expose les résidents à des risques majeurs de chutes, confusion ou déclin cognitif. Infirmiers coordinateurs et équipes soignantes jouent un rôle pivot dans la surveillance neuropsychiatrique et l’accompagnement du sevrage progressif. Pourtant, beaucoup d’établissements manquent encore de protocoles structurés. Cet article propose un cadre pratique pour sécuriser l’accompagnement des résidents sous psychotropes et réduire les prescriptions inappropriées.


Comprendre les enjeux de la prescription de psychotropes en EHPAD

Un usage encore trop fréquent et souvent inapproprié

Selon les données récentes de l’Assurance Maladie, un résident sur deux reçoit au moins un psychotrope en établissement. Ce taux grimpe à 70 % chez les personnes atteintes de troubles neurocognitifs. Les benzodiazépines et antipsychotiques restent surreprésentés, malgré les recommandations de la HAS qui en limitent strictement l’usage chez la personne âgée.

Les causes sont multiples : gestion des troubles du comportement, réponse rapide aux angoisses nocturnes, pression du collectif en cas d’agressivité. Mais ces molécules ne sont pas anodines. Elles augmentent le risque de chutes, de syndrome confusionnel, d’aggravation cognitive et même de mortalité cardiovasculaire.

Rappel HAS : Les neuroleptiques ne doivent être prescrits que si les approches non médicamenteuses ont échoué et sur une durée limitée (généralement 12 semaines maximum).

Les interactions médicamenteuses : un risque sous-estimé

Les résidents en EHPAD prennent en moyenne 7 à 9 médicaments par jour. Les psychotropes s’ajoutent souvent à une polymédication déjà lourde. Les interactions avec les anticoagulants, antihypertenseurs ou antidiabétiques sont fréquentes et parfois graves.

Un exemple concret : un résident sous fluoxétine (antidépresseur) et tramadol (antalgique) présente un risque accru de syndrome sérotoninergique. Sans surveillance rapprochée, ce type d’effet peut passer inaperçu jusqu’à l’accident.

Conseil pratique : Intégrez systématiquement une revue pharmaceutique trimestrielle dans votre PACK INTÉGRAL : Le Circuit du Médicament 100% Sécurisé. Formez vos équipes à détecter les signaux d’alerte.


Surveillance neuropsychiatrique : outils et protocoles terrain

Les paramètres à surveiller au quotidien

La surveillance neuropsychiatrique ne se limite pas à l’observation ponctuelle. Elle repose sur une traçabilité continue et partagée entre aides-soignants, infirmiers et médecin coordonnateur.

Voici les principaux signes à documenter :

  • État de vigilance : somnolence diurne, difficulté à se réveiller, confusion
  • Équilibre et motricité : tremblements, rigidité, démarche instable
  • Comportement : agitation, apathie, irritabilité inhabituelle
  • Fonctions cognitives : désorientation temporelle, troubles mnésiques aggravés
  • Signes extrapyramidaux : dystonie, akathisie (agitation motrice)

Ces observations doivent être consignées dans le dossier de soins et croisées avec les autres professionnels lors des transmissions ciblées.

Exemple d’une fiche de surveillance hebdomadaire

Jour Vigilance Marche Confusion Chute Tremblements Remarques
Lundi Normale Stable Non Non Non RAS
Mardi Somnolent Instable Oui Non Légers Appel médecin
Mercredi Normale Stable Non Non Non Adaptation dose

Ce type de fiche permet d’identifier rapidement une dégradation et de réagir avant la chute ou l’aggravation. Elle peut être complétée en équipe et analysée chaque semaine en réunion de coordination.

Intégrer la surveillance dans l’organisation quotidienne

La surveillance ne doit pas être perçue comme une charge supplémentaire. Il s’agit de ritualiser des points de contrôle simples :

  1. Transmission ciblée matin et soir avec mention systématique des résidents sous psychotropes
  2. Fiche de liaison IDE/AS dédiée aux résidents sous traitement à risque
  3. Alerte médecin coordonnateur dès le 2ᵉ signe d’effet indésirable

Bon réflexe : Affichez dans le bureau infirmier la liste actualisée des résidents sous psychotropes avec date de prescription et durée prévue. Cela facilite le suivi collectif et prévient les reconductions automatiques.


Prévention et gestion des effets secondaires

Les effets secondaires les plus fréquents à anticiper

Les psychotropes exposent à plusieurs types d’effets indésirables, parfois graves :

Classe Effets secondaires fréquents Conduite à tenir
Benzodiazépines Somnolence, chutes, dépendance Limiter durée, privilégier demi-vie courte
Neuroleptiques Syndrome extrapyramidal, confusion Surveillance motricité, réévaluation rapide
Antidépresseurs ISRS Troubles digestifs, hyponatrémie Bilan biologique régulier, hydratation
Antiépileptiques Vertiges, ataxie Surveillance posturale, adaptation progressive

Ces effets peuvent apparaître dès les premiers jours ou après plusieurs semaines. La vigilance doit être constante, y compris lors de changements de dosage ou d’ajout d’un nouveau traitement.

Les stratégies de prévention opérationnelles

Pour limiter les effets secondaires, plusieurs leviers sont à activer dès l’initiation du traitement :

  • Débuter à dose faible et augmenter progressivement (principe de titration)
  • Privilégier les molécules à demi-vie courte chez la personne âgée
  • Éviter les associations à risque (ex : plusieurs psychotropes sédatifs)
  • Réévaluer régulièrement l’indication et la pertinence du traitement (au moins tous les 3 mois)
  • Former les équipes aux signes d’alerte spécifiques de chaque classe thérapeutique

Un exemple terrain : Mme D., 82 ans, reçoit du lorazépam pour anxiété nocturne. Après 5 jours, l’équipe de nuit constate une somnolence diurne et deux chutes légères. L’IDE alerte le médecin coordonnateur. La posologie est réduite de moitié, puis un accompagnement non médicamenteux est mis en place (musique douce, lumière tamisée). Le lorazépam est arrêté au bout de 3 semaines.

Action immédiate : Créez une checklist d’instauration des psychotropes, incluant l’évaluation du risque de chute, le contexte de prescription et la durée prévue. Distribuez-la aux IDE et médecins coordonnateurs.


Accompagner le sevrage progressif des psychotropes

Pourquoi et quand envisager un sevrage ?

Le sevrage est recommandé dès que le traitement psychotrope dépasse la durée initiale prévue ou lorsque les bénéfices ne sont plus démontrables. La HAS préconise une réévaluation systématique à 3 mois pour les benzodiazépines et à 12 semaines pour les neuroleptiques.

Les motifs de sevrage incluent :

  • Absence d’amélioration clinique
  • Effets secondaires prépondérants
  • Modification de l’état de santé du résident (amélioration cognitive, apaisement comportemental)
  • Volonté du résident ou de la famille (avec accompagnement médical)

Le sevrage brutal est contre-indiqué. Il expose à un syndrome de sevrage (anxiété rebond, agitation, convulsions pour certaines molécules). Le sevrage doit être progressif, encadré et personnalisé.

Protocole de sevrage en 5 étapes

Voici une trame pratique pour structurer un sevrage en établissement :

  1. Évaluation initiale : état clinique, durée de traitement, dose actuelle, contexte de prescription
  2. Concertation médico-soignante : réunion IDE, médecin coordonnateur, psychologue si besoin
  3. Planification du sevrage : diminution progressive par paliers (ex : -25 % toutes les 2 semaines)
  4. Surveillance renforcée : fiche dédiée, transmissions ciblées, points hebdomadaires
  5. Mise en place d’alternatives non médicamenteuses : musicothérapie, relaxation, activités adaptées

Exemple de tableau de sevrage progressif

Semaine Dose Effets observés Décision
S0 1 mg lorazépam/jour Somnolence, chutes Début sevrage
S2 0,75 mg/jour Moins somnolent Poursuite
S4 0,5 mg/jour Anxiété légère en soirée Maintien 2 semaines
S6 0,25 mg/jour Stabilité Poursuite
S8 Arrêt Aucun symptôme de sevrage Sevrage réussi

Ce tableau doit être complété par l’infirmier et partagé lors des transmissions. Il offre une vision claire de l’évolution et facilite la décision médicale.

Gérer les résistances et les situations d’échec

Le sevrage peut échouer pour plusieurs raisons : réapparition de troubles du comportement, anxiété du résident, inquiétude de la famille, manque de temps pour les approches non médicamenteuses.

Quelques leviers pour favoriser la réussite :

  • Impliquer la famille dès le début : expliquer les bénéfices du sevrage, rassurer sur l’accompagnement
  • Former les équipes aux techniques d’apaisement (approche Humanitude, toucher relationnel, écoute active)
  • Anticiper les moments à risque (fin de journée, coucher) avec des rituels rassurants
  • Ne pas hésiter à suspendre temporairement le sevrage en cas de décompensation, et reprendre ultérieurement

Conseil stratégique : Intégrez le sevrage dans votre projet de soins individualisé. Impliquez l’IDEC pour piloter la démarche et valoriser les réussites en équipe.


Outils pratiques et recommandations pour sécuriser l’accompagnement

Les recommandations HAS et outils d’aide à la décision

La Haute Autorité de Santé a publié plusieurs référentiels sur le bon usage des psychotropes chez la personne âgée. Les principaux messages sont :

  • Limiter les prescriptions hors AMM des neuroleptiques dans les troubles du comportement
  • Privilégier les approches non médicamenteuses en première intention
  • Réduire la durée de traitement au strict minimum
  • Évaluer régulièrement le rapport bénéfice/risque

Des outils d’aide à la décision existent, comme la grille STOPP/START, qui permet d’identifier les prescriptions inappropriées et les omissions thérapeutiques. Cette grille est utilisable par les pharmaciens et les médecins coordonnateurs lors des revues de médication.

Citation HAS : « Chez les personnes âgées, les psychotropes doivent être prescrits à la dose minimale efficace et sur une durée limitée, avec une réévaluation systématique. »

Construire une culture de la réévaluation en équipe

Pour sécuriser durablement l’usage des psychotropes, il faut installer une dynamique collective de réévaluation. Cela passe par :

Exemples d’outils réutilisables

Voici trois outils concrets à déployer dans votre établissement :

  1. Fiche de traçabilité psychotropes : à remplir à chaque instauration et à chaque révision
  2. Grille de surveillance neuropsychiatrique hebdomadaire : à compléter par l’AS référent
  3. Check-list de sevrage progressif : protocole en 5 étapes avec critères de réussite

Ces supports peuvent être intégrés dans votre PACK INTÉGRAL : Soins & accompagnement quotidien ou dans vos procédures internes.

Action prioritaire : Organisez une réunion de lancement avec l’équipe soignante, le médecin coordonnateur et le pharmacien référent pour définir les objectifs annuels : réduction de 10 % des prescriptions de benzodiazépines, sevrage réussi de 5 résidents, zéro reconduction automatique sans réévaluation.


Vers une prise en charge apaisée et sécurisée

L’accompagnement des résidents sous psychotropes ne se résume pas à une simple distribution de comprimés. C’est un acte de vigilance, de coordination et d’ajustement continu. Les équipes soignantes ont le pouvoir de transformer les pratiques en installant des rituels de surveillance, de réévaluation et de sevrage progressif.

Les bénéfices sont multiples : moins de chutes, moins de confusion, meilleur confort de vie pour les résidents et réduction du sentiment d’impuissance chez les soignants. Mais cela nécessite une organisation structurée, des outils partagés et une culture de l’amélioration continue.

L’enjeu est aussi humain : redonner aux résidents la possibilité de vivre leur fin de vie sans sur-médication, avec dignité et sérénité. Pour les équipes, c’est l’occasion de renforcer leur professionnalisme et de prendre soin sans s’oublier (voir Soigner sans s’oublier : Le manuel de survie en EHPAD).

Dernier conseil : Faites de la réduction des psychotropes un indicateur de qualité visible dans votre tableau de bord. Communiquez régulièrement sur les résultats obtenus. Valorisez les réussites en équipe. Et n’hésitez pas à solliciter des formations ou des ressources externes pour accompagner le changement.


FAQ : Questions fréquentes sur l’accompagnement des résidents sous psychotropes

Qui est responsable de la surveillance des psychotropes en EHPAD ?
La surveillance est une responsabilité partagée. L’infirmier assure le suivi clinique quotidien, l’IDEC coordonne et vérifie la traçabilité, le médecin coordonnateur réévalue les prescriptions. Les aides-soignants jouent un rôle clé dans l’observation des comportements et la remontée d’informations.

Combien de temps peut-on prescrire un neuroleptique chez une personne âgée ?
La HAS recommande une durée maximale de 12 semaines pour les neuroleptiques dans le cadre des troubles du comportement. Au-delà, une réévaluation systématique doit être réalisée. Si le traitement est maintenu, il faut documenter précisément les motifs dans le dossier.

Comment organiser un sevrage de benzodiazépines en toute sécurité ?
Le sevrage doit être progressif (réduction par paliers de 25 % toutes les 2 à 4 semaines), surveillé (transmissions renforcées, fiche dédiée) et accompagné d’alternatives non médicamenteuses (relaxation, activités apaisantes). Il nécessite l’accord du médecin et l’implication de toute l’équipe.

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