Dans le paysage complexe des EHPAD, les Infirmiers Diplômés d’État Coordinateurs (IDEC) occupent une position stratégique mais paradoxale. Piliers du fonctionnement quotidien des établissements, ils assument des responsabilités considérables sans bénéficier d’un cadre réglementaire spécifique. Cette situation soulève des questions cruciales sur leur statut, leurs obligations et leur reconnaissance professionnelle. Entre pratiques de terrain et vide juridique, les IDEC doivent naviguer dans un environnement où leur expertise est indispensable mais leur position institutionnelle reste floue.
Sommaire
Un statut professionnel en quête de légitimité
Le métier d’IDEC souffre d’un paradoxe flagrant. Bien que central dans le fonctionnement des EHPAD, il ne dispose pas d’une définition légale précise. Cette situation crée un décalage entre la réalité du terrain et le cadre réglementaire.
Selon l’Association Nationale des IDEC (ANIDEC), plus de 7000 professionnels exercent aujourd’hui cette fonction en France. Pourtant, aucun texte législatif ne définit spécifiquement leurs missions.
La Ffidec (Fédération française des infirmières coordonnatrices) travaille activement à cette reconnaissance. Lors des dernières Assises nationales des EHPAD en 2024, elle a présenté un projet de référentiel métier.
Ce flou juridique a des conséquences concrètes. Les conditions d’accès à la fonction varient considérablement d’un établissement à l’autre. Certains recrutent des IDE expérimentés. D’autres exigent des formations complémentaires.
La formation constitue d’ailleurs un enjeu majeur. Plusieurs universités proposent désormais des DU spécifiques. L’Université de Paris a ainsi créé un Diplôme Universitaire d’infirmier référent et coordinateur en 2020. Cette formation attire chaque année plus de candidats.
La rémunération reste aussi très hétérogène. D’après une enquête de la FEHAP réalisée en 2023, l’écart de salaire peut atteindre jusqu’à 20% entre établissements pour des responsabilités similaires.
Le socle réglementaire existant
À défaut d’un cadre spécifique, les IDEC sont d’abord soumis aux obligations générales des infirmiers. Le Code de la Santé Publique constitue leur première référence légale.
Les articles R.4311-1 à R.4311-15 définissent le rôle et les compétences des infirmiers. Ils s’appliquent pleinement aux IDEC. Le respect du secret professionnel, l’obligation de formation continue et la qualité des soins sont des impératifs légaux.
Le Décret n° 2016-1164 du 26 août 2016 apporte des éléments complémentaires. Ce texte définit les conditions techniques minimales d’organisation des EHPAD. Il impose la présence d’une équipe pluridisciplinaire incluant « au moins un infirmier diplômé d’État ».
Bien que ne mentionnant pas explicitement les IDEC, ce décret implique indirectement leur rôle. La coordination des soins apparaît comme une nécessité fonctionnelle évidente.
L’arrêté du 3 mars 2017 fixe le cahier des charges des expérimentations d’innovations en santé. Il évoque la coordination des parcours comme une priorité. Les IDEC y trouvent une légitimité indirecte.
Enfin, la loi du 24 juillet 2019 relative à l’organisation du système de santé renforce l’importance de la coordination. Elle encourage les coopérations entre professionnels sans toutefois nommer spécifiquement les IDEC.
Les cinq missions fondamentales proposées par la profession
Face à ce vide juridique, la Ffidec a défini cinq missions essentielles. Ces missions, bien que non inscrites dans la loi, font consensus dans la profession.
1. Coordination des soins et continuité de service
Cette mission fondamentale implique l’organisation quotidienne des soins. L’IDEC veille à la cohérence des interventions. Il assure la transmission des informations entre équipes.
Une étude de la DREES publiée en 2023 montre que cette coordination améliore de 22% la qualité de vie des résidents lorsqu’elle est formalisée.
L’IDEC élabore les plannings de soins. Il supervise la mise en œuvre des projets personnalisés. Il gère également les situations d’urgence médicale en lien avec le médecin coordonnateur.
2. Déploiement de la politique institutionnelle
L’IDEC traduit concrètement les orientations stratégiques de l’établissement. Il participe à l’élaboration du projet de soins. Il veille à son application quotidienne.
Cette mission implique une connaissance approfondie du cadre réglementaire. L’IDEC doit maîtriser les recommandations de bonnes pratiques de la HAS. Il doit connaître les procédures d’évaluation de la qualité.
La certification des établissements repose en grande partie sur cette compétence. L’IDEC joue un rôle clé dans la préparation des évaluations externes.
3. Gestion des ressources humaines et leadership
Cette dimension managériale distingue l’IDEC d’un infirmier classique. Il supervise une équipe souvent nombreuse et pluridisciplinaire.
L’IDEC participe au recrutement du personnel soignant. Il organise l’accueil des nouveaux collaborateurs. Il identifie les besoins en formation.
La gestion des plannings représente un défi quotidien majeur. Selon un rapport de l’IGAS de 2022, les EHPAD connaissent un taux d’absentéisme moyen de 12%. L’IDEC doit constamment réorganiser le travail pour maintenir la qualité des soins.
Le rapport « Grand âge et autonomie » de Dominique Libault (2019) souligne l’importance de cette fonction. Il recommande de renforcer la formation au management des IDEC.
4. Garantie des bonnes pratiques gériatriques
L’IDEC veille à l’application des protocoles adaptés aux personnes âgées. Il supervise la prévention des risques spécifiques comme les chutes ou les escarres.
Cette mission exige une expertise gériatrique pointue. L’IDEC forme les équipes aux spécificités du grand âge. Il sensibilise à la bientraitance et à l’éthique du soin.
La HAS a publié en 2023 de nouvelles recommandations sur la prise en charge médicamenteuse. Leur mise en œuvre repose largement sur les IDEC.
5. Coordination avec les partenaires extérieurs
L’EHPAD n’est pas un lieu fermé. L’IDEC développe des partenariats avec l’hôpital, les médecins libéraux et les autres acteurs du territoire.
Cette mission prend une importance croissante avec le virage domiciliaire. Les IDEC participent désormais à la coordination des parcours ville-établissement.
Le développement de l’EHPAD « hors les murs » renforce cette dimension. Selon une étude de la CNSA de 2023, 38% des EHPAD proposent désormais des services externes à leurs résidents.
Les défis quotidiens et perspectives d’évolution
La réalité quotidienne des IDEC révèle des défis considérables. La charge administrative a augmenté de 35% en cinq ans selon l’enquête EHPA 2023. Cette évolution réduit le temps disponible pour la coordination effective des soins.
Les IDEC font face à des injonctions parfois contradictoires. Ils doivent concilier qualité des soins et contraintes budgétaires. Ils naviguent entre attentes des familles et réalités organisationnelles.
La crise sanitaire a mis en lumière leur rôle crucial. Durant la pandémie de COVID-19, les IDEC ont coordonné la mise en œuvre des protocoles sanitaires. Ils ont organisé les campagnes de vaccination et géré les situations de cluster.
L’évolution démographique annonce de nouveaux défis. Le nombre de personnes âgées de plus de 85 ans va doubler d’ici 2050. Les EHPAD accueilleront des résidents toujours plus dépendants.
La reconnaissance officielle du métier apparaît comme une nécessité. Un projet de décret est actuellement en préparation au ministère de la Santé. Il pourrait enfin définir précisément le statut et les missions des IDEC.
La formation constitue un autre enjeu majeur. La création d’un diplôme national spécifique fait consensus parmi les professionnels. Plusieurs écoles d’infirmières réfléchissent à la création d’une spécialisation dédiée.
L’avenir des IDEC s’inscrit dans une transformation plus large du secteur. Le rapport El Khomri sur l’attractivité des métiers du grand âge (2019) préconise une revalorisation de ces fonctions. Il recommande la création d’un véritable parcours professionnel pour les infirmiers en EHPAD.
Les IDEC représentent une ressource précieuse mais fragile. Leur reconnaissance réglementaire constituerait un signal fort pour l’ensemble du secteur. Elle permettrait de sécuriser des pratiques aujourd’hui essentielles mais insuffisamment encadrées.

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