En France, la liberté de conscience est un droit fondamental, garanti par la loi de 1905. Les EHPAD (maisons de retraite médicalisées) étant des établissements fermés, ils doivent permettre l’exercice des cultes de leurs résidents. La Charte de la personne hospitalisée (Ministère de la Santé, 2006) précise que « toute personne doit pouvoir être mise en mesure de participer à l’exercice de son culte (recueillement, présence d’un ministre du culte…) ». La Charte des droits et libertés de la personne accueillie y ajoute explicitement « le droit à la pratique religieuse ». En pratique, le règlement intérieur des EHPAD rappelle ces principes : la liberté religieuse de chaque résident s’exerce « dans le respect de la liberté d’autrui » et sous réserve de ne pas « troubler le fonctionnement normal de l’établissement ». Enfin, la loi ASV de décembre 2015 renforce la protection des seniors : elle interdit désormais tout don ou legs (hors cadeaux d’usage) aux intervenants auprès d’une personne âgée (professionnels de santé, personnels d’EHPAD, aumôniers, bénévoles…) afin d’éviter les abus financiers.
- Législation clé (extraits) :
- Loi 9/12/1905 : « La République assure la liberté de conscience. […] Elle ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. » Article 2 autorise en revanche les dépenses publiques pour les aumôneries dans les établissements fermés (écoles, prisons, hôpitaux, hospices…).
- Charte hospitalière (2006) : impose que « toute personne » en établissement de santé – et donc en EHPAD – « doit pouvoir participer à l’exercice de son culte ».
- Charte des droits du résident : énonce « le droit à la pratique religieuse » parmi les droits fondamentaux.
- Règlement de fonctionnement (EHPAD) : rappel systématique des droits – par exemple, à La Roseraie (F-42) on lit que « la liberté religieuse s’exerce dans le respect de la liberté d’autrui et sans troubler le fonctionnement normal de l’établissement. Les conditions de la pratique religieuse sont facilitées pour les résidents qui en font la demande ».
- Loi ASV (2015) : obligation légale d’interdire tout don/legs aux intervenants auprès des personnes âgées (dont les aumôniers), pour lutter contre la captation de patrimoine.
Ces textes signifient que les résidents conservent leur libre choix spirituel : ils peuvent garder dans leur chambre des objets religieux, recevoir qui ils veulent (aumônier, prêtre, imam, rabbin, pasteur…) et organiser des rites, sauf à mettre en danger les autres.
Accompagnement spirituel : rôles et bonnes pratiques
Concrètement, les EHPAD mettent en place diverses mesures pour accompagner la vie spirituelle de leurs résidents, dans le respect de la laïcité :
- Présence d’aumôniers ou référents spirituels – laïcs ou religieux – pour toutes les confessions représentées. Par exemple, l’EHPAD départemental du Creusot (71) dispose d’un aumônier bénévole qui propose un accompagnement spirituel individuel « sans distinction d’origine, d’ethnie, quelle que soit la confession religieuse ou la croyance ». Cet aumônier écoute, accompagne discrètement (notamment en fin de vie) et organise des rencontres : il « n’a pas à prodiguer de conseils » mais à soutenir le résident dans le respect et le secret professionnel.
- Célébrations religieuses régulières. Les établissements peuvent organiser des cultes ou cérémonies interconfessionnelles. À La Roseraie (Loire), une messe catholique mensuelle est célébrée pour les résidents qui le souhaitent. De même, on peut proposer des séances de méditation, des lectures de textes sacrés, ou des « temps d’adieu » où pasteurs et familles participent lors d’un décès (conseil FEP).
- Espaces de recueillement et de culte. Plusieurs pratiques s’avèrent efficaces : autoriser un groupe de résidents à prier dans une chambre (conditions de sécurité, petit nombre) ; aménager une salle polyvalente pour la prière ou un oratoire pluri-religieux dédié. Certaines structures ont même une chapelle chrétienne (après consultation interne). À défaut, on privilégie souvent l’option de sorties vers un lieu de culte extérieur (église, mosquée, temple) avec un accompagnateur, une solution soucieuse de la stricte laïcité sur site.
- Aménagements pratiques. Le personnel veille à adapter la vie quotidienne aux croyances : menus sans porc ou halal, boissons alternatives aux repas de fêtes religieuses, assistance pour les ablutions rituelles, assistance à la toilette mortuaire selon les rites, etc. L’objectif est de respecter les rites de l’individu sans gêner les autres.
- Intégration au projet personnalisé (PAAP). Idéalement, la dimension spirituelle figure dans le projet d’accompagnement du résident. Un questionnaire d’entrée « Mieux vous connaître » peut aborder volontairement les habitudes de vie antérieures (alimentation, pratique religieuse) afin d’informer l’équipe et prévenir les besoins spirituels. Ces informations permettent de planifier des visites adaptées et de détecter tout changement inhabituel.
Toutes ces mesures doivent rester facilitatrices et non prosélytes. L’aumônier ou référent est là pour accompagner la personne, non pour convertir. Par exemple, à l’EHPAD du Creusot, on précise que les rencontres peuvent avoir lieu « avec des représentants de toute confession religieuse ou croyance (ne représentant pas de dérive considérée sectaire) ». On veille à informer les familles et à recueillir le consentement du résident pour chaque visite, en respectant toujours la neutralité du service public (pour les EHPAD publics) ou du moins la convivialité pour les EHPAD associatifs/privés.
Vigilance face aux dérives sectaires
En même temps, cette liberté doit être encadrée pour protéger les personnes âgées vulnérables. Les dérives sectaires en EHPAD peuvent prendre plusieurs formes : recours abusif à des pratiques soi-disant thérapeutiques, emprise financière ou psychologique, isolement volontaire, etc. Les professionnels doivent donc conjuguer ouverture spirituelle et vigilance. Parmi les risques signalés par la Miviludes et les experts :
- Soins alternatifs non conventionnels – La Miviludes note que les personnes très âgées (majeures dépendantes) sont « parmi les principaux consommateurs » d’offres de soins non régulés (médecines douces, « nouveaux rituels de guérison »). Ces « pratiques de soins non conventionnels » sont particulièrement risquées : elles sont « souvent le théâtre de diverses violences » (physiques, sexuelles, psychologiques, escroqueries…) à l’encontre de résidents fragilisés. Les EHPAD veillent donc à référer tout résident vers son médecin traitant ou le médecin coordonnateur avant d’entamer un traitement alternatif, et à informer familles et tutelles.
- Bénévoles extérieurs et intervenants imprévus – Les associations et aumôneries bénévoles font un travail précieux, mais la Miviludes alerte sur leur manque de contrôle : ces structures n’ont pas toujours d’agrément obligatoire et ne sont pas systématiquement déclarées aux autorités de tutelle. Il existe donc un « manque de traçabilité » des intervenants qui entrent librement dans les chambres privées. Plus dangereux encore, on a constaté l’infiltration de professionnels de santé « aux pratiques non conventionnelles » (ex. médecins scientologues, thérapeutes à visée sectaire) dans le circuit des soins. Il est recommandé d’encadrer ces visites (convention avec les prestataires, bilans annuels) et de vérifier les diplômes/licences de tout soignant extérieur.
- Prosélytisme et communautarismes – Les résidents peuvent demander la visite d’un ami ou d’un religieux de leur communauté (ex : Témoin de Jéhovah, évangéliste, etc.). Le Conseil d’État a tranché (CE 16/10/2013) que le directeur d’EHPAD ne peut pas refuser cette visite si le résident le souhaite, même si cela apparaît comme du prosélytisme. Autrement dit, le refus d’un aumônier « de fait » est interdit : la liberté de culte et de circulation (comme pour les visites familiales) prime, sauf si la personne visiteuse présente un danger. Les équipes doivent néanmoins rester attentives : un comportement prosélyte intensif (horaires imposés, pression, culpabilisation…) doit être signalé aux familles ou aux autorités.
- Signes d’alerte individuels – Tout changement inhabituel doit éveiller l’attention. Par exemple, dans le projet personnalisé on surveille « les changements brutaux de comportement, comme la pratique subite d’une religion », surtout s’ils s’accompagnent d’isolement, d’étranglement financier (dons volontaires à un intervenant), de ruptures familiales ou de refus des soins habituels. Des outils de dépistage (questionnaires Miviludes ou entretiens ciblés) peuvent aider à repérer ces dérives. Si plusieurs indices sont présents (rapidement perçu comme « sous influence »), il faut réagir (alerte médecin coordonnateur, signalement aux autorités, éventuelle mesure de protection judiciaire).
En résumé, la prévention en EHPAD repose sur la formation et la coopération : informer et former les soignants aux risques sectaires (signes de vulnérabilité, argumentaires sectaires), associer la Miviludes et l’ARS dans les démarches de vigilance, et recueillir la confiance des familles. Il est essentiel de rappeler que l’État ne subventionne aucun culte, mais facilite l’accès aux services d’aumônerie. Ainsi, une politique d’établissement bien pensée permettra de respecter pleinement la liberté religieuse des résidents tout en maintenant un cadre protecteur.

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