Vous avez déjà ressenti cette sensation étrange, en croisant un confrère directeur lors d’une formation : alors que vous sortez d’une semaine éprouvante, il affiche une énergie presque déconcertante. Pas de cernes marqués, pas de soupirs d’épuisement. Comment font-ils, ces professionnels qui traversent les mêmes tempêtes que vous sans jamais s’écrouler ? La réponse ne tient ni au hasard, ni à une constitution exceptionnelle. Elle réside dans des habitudes précises, simples mais radicales, qui préservent leur énergie comme un capital précieux.
Sommaire
- La gestion de l’énergie plutôt que du temps : le changement de paradigme
- Les rituels de récupération : l’art des micro-pauses stratégiques
- La délégation intelligente : libérer de l’espace mental
- Les frontières protectrices : oser dire non pour dire oui à l’essentiel
- Vers un leadership régénérant : incarner l’équilibre que vous souhaitez pour vos équipes
La gestion de l’énergie plutôt que du temps : le changement de paradigme
Pendant des années, on vous a répété qu’il fallait optimiser votre temps. Bloquer des créneaux, prioriser les tâches, refuser les sollicitations superflues. Pourtant, vous avez beau respecter votre planning à la lettre, vous finissez la journée vidé. C’est normal : le temps est une ressource fixe, l’énergie non.
Les directeurs qui ne s’épuisent jamais ont compris une vérité fondamentale : votre capacité à agir dépend moins du nombre d’heures disponibles que de votre niveau d’énergie à chaque instant. Prenons l’exemple de Claire, directrice d’un EHPAD de 85 résidents dans les Hauts-de-France. Elle bloque systématiquement ses tâches stratégiques entre 9h et 11h, quand son énergie cognitive est maximale. L’après-midi, quand sa concentration faiblit, elle consacre du temps aux échanges avec les familles ou aux visites de service, qui demandent de la présence mais moins d’analyse complexe.
Cette approche repose sur quatre piliers énergétiques :
L’énergie physique : sommeil, alimentation, mouvement régulier
L’énergie émotionnelle : capacité à gérer le stress, cultiver les émotions positives
L’énergie mentale : concentration, créativité, clarté de pensée
L’énergie spirituelle : sens du travail, alignement avec vos valeurs
« Quand j’ai arrêté de culpabiliser de ne pas répondre immédiatement à chaque mail, j’ai récupéré trois heures d’énergie mentale par jour. Pas trois heures de temps : trois heures où mon cerveau était vraiment disponible. » – Thomas, directeur en Occitanie
Passez à l’action dès aujourd’hui : identifiez vos deux pics d’énergie dans la journée. Pendant une semaine, notez à quels moments vous vous sentez le plus alerte. Puis réorganisez votre agenda en fonction de ces constats, en plaçant vos tâches exigeantes aux moments optimaux.
Les rituels de récupération : l’art des micro-pauses stratégiques
Les marathoniens le savent bien : ce n’est pas en courant sans s’arrêter qu’on va loin. C’est en gérant ses ravitaillements. Dans le marathon quotidien d’un EHPAD, les directeurs résilients ont instauré des rituels de récupération aussi sacrés que leurs réunions institutionnelles.
Imaginez votre énergie comme une batterie de smartphone. Vous pouvez la laisser se vider jusqu’à 5% avant de la recharger en urgence, ou la maintenir constamment entre 40% et 80%. La seconde option garantit une performance stable sur la durée. Concrètement, cela se traduit par des micro-pauses régulières, de 2 à 5 minutes, toutes les 90 minutes environ.
Sandrine, IDEC depuis 15 ans, pratique ce qu’elle appelle « la respiration du bâtiment ». Toutes les deux heures, elle sort faire un tour rapide dans le jardin de l’établissement, même en hiver. Cinq minutes de marche, de respiration profonde, sans téléphone. Ce rituel simple lui permet de revenir avec un regard neuf sur les situations complexes.
Les rituels qui fonctionnent vraiment en EHPAD :
- La pause thé ritualisée : 10 minutes à 10h30, sans ordinateur, idéalement avec un collègue pour un échange informel positif
- Le déjeuner sacré : sortir de l’établissement au moins deux fois par semaine, même pour manger un sandwich au parc
- La coupure numérique : éteindre les notifications entre 12h30 et 14h, période où votre cerveau a besoin de digérer (au propre comme au figuré)
- Le sas de décompression : 10 minutes dans la voiture avant de rentrer chez vous, pour marquer la transition entre vie professionnelle et personnelle
Ces rituels peuvent sembler dérisoires face à l’ampleur de vos responsabilités. Pourtant, Jean-Marc, directeur d’un établissement de 120 lits, témoigne : « Depuis que j’impose mes pauses comme des rendez-vous non négociables, je n’ai plus cette sensation d’être submergé en permanence. Mon équipe a même remarqué que j’étais plus disponible, car je suis vraiment présent quand je suis là. »
Démarrez cette semaine : choisissez UN seul rituel parmi ceux proposés et ancrez-le pendant 21 jours. Mettez une alarme sur votre téléphone si nécessaire. La régularité prime sur la perfection.
La délégation intelligente : libérer de l’espace mental
Vous connaissez cette charge mentale permanente, cette liste invisible qui tourne en boucle dans votre tête ? « Vérifier le planning de jeudi, rappeler le médecin coordonnateur, relancer le devis pour les lève-personnes, préparer le point avec la famille Dupont… » Les directeurs qui préservent leur énergie ont développé un art précieux : déléguer non seulement les tâches, mais aussi la charge mentale qui va avec.
La différence est cruciale. Déléguer une tâche en gardant le contrôle mental (« Je dois vérifier que c’est fait, penser à relancer, surveiller l’avancement ») ne libère rien. C’est comme confier un dossier à quelqu’un en gardant le poids du sac sur vos épaules.
Marie-Françoise dirige un EHPAD depuis douze ans sans jamais avoir connu de burn-out. Son secret ? Un système de délégation progressive qu’elle a mis trois ans à construire :
- Identifier les tâches déléguables : tout ce qui ne requiert pas votre expertise unique de directeur
- Former vraiment : investir du temps au départ pour expliquer le « pourquoi » et le « comment », pas juste le « quoi »
- Établir des points de contrôle clairs : des moments définis où vous faites le point, sans surveillance continue entre-temps
- Accepter le 80% : si la tâche est réalisée à 80% comme vous l’auriez fait, c’est suffisant
Les signaux qu’il est temps de déléguer davantage :
- Vous vous réveillez la nuit en pensant à des tâches opérationnelles
- Vous répondez « je n’ai pas eu le temps » plus de trois fois par semaine
- Vous intervenez régulièrement sur des sujets que votre équipe pourrait gérer
- Vous ressentez de la frustration face aux capacités inexploitées de vos collaborateurs
La délégation intelligente ne concerne pas seulement les tâches administratives. Elle s’applique aussi à la gestion émotionnelle. Fabien, directeur dans le Grand-Est, a créé un binôme de soutien avec une autre directrice d’EHPAD à 30 km. Une fois par mois, ils déjeunent ensemble pour partager leurs difficultés. « Elle porte mes doutes pendant une heure, je porte les siens. On ressort tous les deux plus légers. »
« Déléguer, ce n’est pas se décharger. C’est permettre à chacun de grandir en responsabilité, vous y compris. »
Action immédiate : listez trois tâches que vous accomplissez régulièrement et qui pourraient être déléguées. Pour chacune, identifiez la personne qui pourrait la prendre en charge et bloquez un créneau cette semaine pour la former. Commencez petit, avec des tâches à faible risque.
Les frontières protectrices : oser dire non pour dire oui à l’essentiel
Voilà sans doute l’habitude la plus contre-intuitive pour des professionnels dévoués comme vous : poser des limites fermes. Dans le secteur médico-social, où la vocation côtoie l’urgence quotidienne, refuser peut ressembler à un abandon. Pourtant, les directeurs qui durent ont compris qu’un « non » bien placé protège mieux les résidents qu’un « oui » épuisé.
Pensez à l’avion et aux consignes de sécurité : mettez d’abord votre propre masque à oxygène avant d’aider les autres. Si vous vous effondrez, qui prendra les décisions stratégiques pour votre établissement ?
Établir des frontières protectrices, c’est tracer trois cercles concentriques autour de votre énergie :
Le cercle rouge (infranchissable) : votre sommeil, votre santé physique, les moments clés avec vos proches. Ces éléments ne sont jamais négociables, sauf urgence vitale réelle (pas organisationnelle).
Le cercle orange (négociable mais coûteux) : les sollicitations qui sortent de votre périmètre direct, les réunions sans ordre du jour clair, les urgences des autres qui deviennent vos priorités.
Le cercle vert (modulable) : les activités où votre flexibilité peut s’exprimer sans compromettre votre équilibre.
Sophie, directrice depuis huit ans, raconte sa transformation : « Avant, j’étais joignable 24h/24, 7j/7. Les équipes appelaient pour tout. Maintenant, j’ai un téléphone d’astreinte qui tourne entre les cadres selon un planning. Je ne suis contactée que si l’urgence dépasse leur périmètre de décision. En deux ans, on m’a appelée quatre fois en dehors de mes heures. Quatre fois. »
Comment poser des limites sans culpabiliser :
- Communiquer clairement : expliciter vos horaires de disponibilité, vos canaux de communication privilégiés
- Proposer des alternatives : « Je ne peux pas maintenant, mais je peux jeudi à 14h » plutôt qu’un « non » sec
- Faire confiance au système : si votre organisation ne peut fonctionner que si vous êtes constamment disponible, c’est le système qui doit changer, pas vous
- Valoriser votre équipe : « Tu as toutes les compétences pour décider sur ce point » plutôt que tout centraliser
Les limites protègent également votre clarté de jugement. Laurent, directeur d’un établissement confronté à une inspection difficile, témoigne : « J’ai refusé de travailler le week-end précédant le contrôle. J’ai dormi, vu mes enfants, marché en forêt. Le lundi, j’étais lucide et calme. On a décroché un sans-faute. Si j’étais arrivé épuisé, j’aurais été sur la défensive, pas dans la collaboration constructive. »
Passez à l’action : identifiez une frontière que vous allez poser dès la semaine prochaine. Commencez par quelque chose de simple : une plage horaire sans email, un jour sans réunion après 17h, un week-end par mois totalement déconnecté. Annoncez-le à votre équipe, et tenez bon.
Vers un leadership régénérant : incarner l’équilibre que vous souhaitez pour vos équipes
Imaginez un instant votre établissement dans deux ans. Vous arrivez le matin avec une énergie sereine, capable d’accueillir l’imprévu sans basculer dans l’urgence permanente. Votre équipe de direction a intégré ces mêmes habitudes protectrices. L’épuisement n’est plus une fatalité acceptée, mais un signal d’alarme pris au sérieux.
Ce futur n’est pas une utopie. C’est une décision que vous prenez aujourd’hui. Chaque directeur qui refuse l’épuisement comme norme professionnelle ouvre un chemin pour tous les autres. Vous n’êtes pas en train de devenir moins engagé : vous devenez durablement efficace.
Les résidents ne bénéficient pas d’un directeur épuisé qui tient par habitude ou par culpabilité. Ils bénéficient d’un professionnel lucide, créatif, capable de prendre du recul pour voir les vrais enjeux. Vos équipes n’apprennent pas la résilience dans vos discours, mais dans votre exemple quotidien.
Rappelez-vous pourquoi vous avez choisi ce métier. Pas pour vous consumer, mais pour accompagner dignement la fin de vie, créer du lien, donner du sens. Ces missions essentielles méritent que vous restiez debout, disponible, présent. Non pas à 120% pendant trois ans avant de craquer, mais à 80% pendant toute votre carrière.
Commencez modestement. Une habitude à la fois. Un rituel testé, ajusté, ancré. Puis un autre. Dans six mois, vous regarderez en arrière et mesurerez le chemin parcouru. Non pas à l’aune de vos performances extraordinaires, mais à la constance de votre présence, à la qualité de votre discernement, à votre capacité retrouvée de sourire sincèrement à un résident en fin de journée.
Les directeurs qui ne s’épuisent jamais ne sont pas des surhommes. Ce sont des professionnels qui ont compris que l’endurance se construit dans la récupération, que la performance durable naît de l’équilibre, et que prendre soin de soi n’est pas un luxe égoïste mais une responsabilité professionnelle. À vous maintenant d’écrire votre propre version de cette histoire. Elle commence aujourd’hui, par un premier choix courageux : décider que votre énergie mérite d’être protégée.

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