Comment gérer l’épilepsie en EHPAD : protocoles et formation des équipes soignantes

Épilepsie en EHPAD : protocoles, gestes d’urgence et surveillance adaptée aux résidents âgés. Guide pratique pour sécuriser la prise en charge.

L’épilepsie en EHPAD représente un défi quotidien pour les équipes soignantes. Entre 10 et 22 % des résidents de plus de 65 ans présentent des troubles neurologiques incluant des crises épileptiques, souvent mal identifiées ou confondues avec d’autres pathologies. Face à des crises convulsives mal maîtrisées, la surveillance spécialisée et la formation aux gestes d’urgence deviennent indispensables. Garantir un accompagnement sécurisé implique de structurer des protocoles épilepsie clairs, de former l’ensemble du personnel et d’adapter les pratiques aux recommandations gériatriques actuelles.


Comprendre l’épilepsie chez la personne âgée : spécificités et enjeux en EHPAD

L’épilepsie gériatrique se distingue par ses manifestations atypiques et ses causes multiples. Contrairement aux formes pédiatriques ou adultes jeunes, elle résulte souvent de lésions cérébrales acquises : accidents vasculaires cérébraux (30 à 40 % des cas), démences (dont Alzheimer), tumeurs cérébrales ou séquelles de traumatismes crâniens.

Les crises chez les seniors sont majoritairement focales, avec des symptômes subtils : confusion isolée, automatismes buccaux, regard fixe, ou troubles du langage passagers. Ces manifestations discrètes peuvent passer inaperçues ou être attribuées à tort à la démence ou à un malaise vagal.

Prévalence et facteurs de risque en établissement

Les études récentes montrent une prévalence accrue en EHPAD :

  • L’incidence de l’épilepsie après 65 ans atteint 127 cas pour 100 000 personnes, soit le taux le plus élevé de toutes les tranches d’âge.
  • Les résidents atteints de démence vasculaire ou d’Alzheimer présentent un risque multiplié par 6 à 10.
  • La polymédication (moyenne de 7 à 9 traitements par résident) augmente les interactions médicamenteuses et le risque iatrogène.

Point clé : Environ 50 % des crises chez les personnes âgées surviennent pour la première fois après 65 ans, sans antécédent épileptique connu.

Conseil pratique : Intégrez dans le dossier de chaque résident un historique neurologique détaillé, incluant les antécédents vasculaires, traumatiques et les traitements en cours. Cela facilite le diagnostic et l’ajustement thérapeutique par le médecin traitant ou le neurologue référent.


Reconnaître les différents types de crises épileptiques : outils de surveillance neurologique

La reconnaissance rapide des crises est la première étape d’une prise en charge efficace. En EHPAD, les équipes doivent savoir identifier trois grands types de crises.

1. Crises généralisées tonico-cloniques

Ce sont les plus spectaculaires et les plus connues :

  • Perte de connaissance brutale
  • Phase tonique : raidissement du corps, cri initial
  • Phase clonique : convulsions rythmiques
  • Durée : 1 à 3 minutes en général
  • Phase post-critique : confusion, somnolence, amnésie de l’épisode

2. Crises focales (partielles)

Elles se limitent à une zone cérébrale et peuvent passer inaperçues :

  • Mouvements anormaux d’un membre (clonies localisées)
  • Troubles sensitifs (fourmillements, hallucinations visuelles)
  • Automatismes : mâchonnements, frottements répétitifs
  • Conscience préservée ou altérée selon la zone touchée

3. Absences et crises atypiques

Rares chez le senior, mais possibles :

  • Regard fixe, interruption brutale de l’activité en cours
  • Durée très brève (quelques secondes)
  • Reprise immédiate sans confusion post-critique
Type de crise Durée moyenne Signes d’alerte Conduite à tenir immédiate
Tonico-clonique généralisée 1-3 min Convulsions, perte de conscience Protéger, chronométrer, position latérale
Focale avec troubles conscience 1-2 min Automatismes, confusion Observer, ne pas contraindre, rassurer
Absence < 30 sec Regard vide, interruption activité Surveiller, noter, informer médecin

Exemple concret : Dans un EHPAD de Seine-et-Marne, une résidente présente chaque semaine des épisodes de « déconnexion » de 30 secondes lors des repas. L’équipe note systématiquement ces événements dans le dossier de soins. Le neurologue identifie des crises focales temporales et ajuste le traitement anticomitial, réduisant les épisodes de 80 %.

Outils de surveillance recommandés

Pour structurer l’observation :

  • Fiche de traçabilité des crises : date, heure, durée, contexte, description précise, signes post-critiques
  • Cahier de liaison infirmier/AS : transmission écrite systématique
  • Grille d’évaluation neurologique simplifiée : niveau de conscience (échelle AVPU ou Glasgow simplifié), orientation, réactivité motrice

Action immédiate : Créez ou actualisez votre fiche de conduite à tenir en cas de crise épileptique, affichée dans chaque office de soins et dans les chambres des résidents concernés.


Protocole d’urgence et gestes de premiers secours : former les équipes

La formation aux gestes d’urgence constitue le socle de la sécurité en EHPAD. Tous les professionnels, infirmiers et aides-soignants, doivent maîtriser les conduites à tenir.

Conduite à tenir pendant une crise tonico-clonique

Étapes prioritaires :

  1. Protéger : Écarter tout objet dur ou tranchant, glisser un coussin sous la tête.
  2. Ne jamais introduire d’objet dans la bouche, ni tenter de bloquer les mouvements.
  3. Chronométrer : Noter l’heure de début et la durée exacte de la crise.
  4. Positionner : Dès la fin des convulsions, placer le résident en position latérale de sécurité (PLS).
  5. Surveiller : Respiration, coloration, reprise de conscience progressive.
  6. Alerter si :
    • Durée > 5 minutes
    • Crises répétées sans reprise de conscience (état de mal épileptique)
    • Traumatisme associé
    • Première crise connue

Règle d’or : Une crise de moins de 5 minutes, chez un résident épileptique connu, ne nécessite pas systématiquement l’appel au SAMU, mais une surveillance rapprochée et une transmission médicale dans les 24 heures.

Formation et certification des équipes

Les recommandations HAS et la Ligue Française Contre l’Épilepsie préconisent :

  • Formation initiale et recyclage annuel : gestes d’urgence, reconnaissance des crises, protocole médicamenteux
  • Simulation de situations : ateliers pratiques avec mises en situation
  • Supports pédagogiques : fiches plastifiées, vidéos de sensibilisation

Exemple terrain : Un EHPAD de Bretagne organise chaque trimestre une demi-journée de formation en équipe pluridisciplinaire (IDE, AS, agents de service). Les scénarios incluent une crise en salle à manger, en chambre, ou lors d’une animation. Le taux de réactivité conforme au protocole est passé de 62 % à 94 % en un an.

Gestion de l’état de mal épileptique

L’état de mal épileptique (EME) est une urgence vitale : crise de plus de 5 minutes ou crises successives sans reprise de conscience. La mortalité peut atteindre 20 % sans traitement rapide.

Protocole d’urgence IDE :

  1. Appeler le SAMU (15) immédiatement.
  2. Administrer un anticonvulsivant d’urgence selon prescription anticipée :
    • Diazépam intra-rectal (Valium®) : 10 mg en seringue pré-remplie
    • Midazolam buccal : 10 mg entre gencive et joue (hors AMM mais toléré)
  3. Libérer les voies aériennes, oxygène si disponible.
  4. Surveiller constantes : pouls, saturation, coloration.
  5. Préparer le dossier médical pour les secours.

Conseil opérationnel : Veillez à ce que chaque IDE dispose en permanence d’une trousse d’urgence épilepsie contenant le diazépam intra-rectal prescrit, et que cette prescription soit renouvelée et tracée annuellement dans le dossier informatisé.


Médication anticomitiale et surveillance thérapeutique : rôle infirmier et coordination médicale

Le traitement de l’épilepsie repose sur une médication anticomitiale (ou antiépileptique) adaptée, dont la gestion quotidienne en EHPAD nécessite vigilance et rigueur.

Principaux traitements antiépileptiques en gériatrie

Les molécules les plus prescrites après 65 ans :

  • Lévétiracétam (Keppra®) : première intention, peu d’interactions, bonne tolérance
  • Lamotrigine (Lamictal®) : efficace, titration progressive obligatoire
  • Valproate de sodium (Dépakine®) : efficace mais interactions multiples, risque de confusion
  • Carbamazépine (Tégrétol®) : traitement historique, interactions fréquentes
  • Lacosamide (Vimpat®) : alternative récente, bonne tolérance
Molécule Avantages Inconvénients Surveillance IDE
Lévétiracétam Peu d’interactions, efficace Irritabilité, troubles humeur Évaluation comportementale
Lamotrigine Bien toléré, efficacité large Risque de rash cutané Surveillance cutanée stricte
Valproate Efficacité prouvée Somnolence, tremblements, confusion Vigilance cognitive, dosage sanguin
Carbamazépine Efficace crises focales Hyponatrémie, vertiges, interactions Ionogramme régulier, équilibre

Rôle de l’infirmier coordinateur et de l’IDE

Missions clés :

  • Administration sécurisée : respect strict des horaires, traçabilité dans le dossier de soins
  • Surveillance des effets indésirables : somnolence excessive, troubles digestifs, éruptions cutanées, modifications comportementales
  • Suivi biologique : dosages sanguins (valproate, carbamazépine), ionogramme, NFS, bilan hépatique selon prescription médicale
  • Coordination avec le médecin traitant et le neurologue : transmission des observations, ajustement posologique
  • Éducation thérapeutique : information de la famille, prévention de l’automédication

Attention : Près de 30 % des résidents épileptiques en EHPAD présentent une observance sous-optimale liée à des troubles cognitifs ou à des effets indésirables non détectés.

Question fréquente : Peut-on arrêter un traitement antiépileptique si le résident n’a plus eu de crise depuis 2 ans ?

Réponse : Non, jamais sans avis neurologique. L’arrêt brutal peut déclencher des crises de rebond ou un état de mal. Seul le neurologue peut décider d’une décroissance progressive, après évaluation du rapport bénéfice-risque.

Gestion des interactions médicamenteuses

La polymédication en EHPAD multiplie les risques d’interactions :

  • Inducteurs enzymatiques (carbamazépine, phénytoïne) : diminuent l’efficacité d’autres traitements (anticoagulants, psychotropes)
  • Anticoagulants oraux : surveillance accrue de l’INR
  • Psychotropes : majoration de la sédation, risque de chute
  • Anti-inflammatoires : risque de majoration des effets indésirables

Action immédiate : Mettez en place une révision pharmaceutique trimestrielle en lien avec le pharmacien référent, pour détecter et prévenir les interactions médicamenteuses chez tous les résidents épileptiques.


Adapter l’environnement et les activités : prévenir les risques et favoriser l’autonomie

Au-delà de la gestion médicale, l’accompagnement d’un résident épileptique implique une adaptation de l’environnement et une évaluation individualisée des risques.

Évaluation des risques individuels

Chaque résident épileptique doit bénéficier d’une évaluation personnalisée :

  • Fréquence et type de crises
  • Niveau d’autonomie et capacités cognitives
  • Facteurs déclenchants identifiés (fatigue, stress, lumières clignotantes)
  • Risques de chute, traumatisme, fausse route

Grille d’évaluation recommandée :

  1. Autonomie locomotrice (échelle de Tinetti)
  2. État cognitif (MMS, NPI)
  3. Fréquence des crises sur les 6 derniers mois
  4. Présence d’aura (signe avant-coureur)
  5. Contexte des crises (lieu, heure, activité)

Aménagements de l’environnement

En chambre :

  • Lit médicalisé avec barrières latérales capitonnées
  • Sol antidérapant, espace dégagé autour du lit
  • Alarme de surveillance nocturne si crises nocturnes fréquentes
  • Retrait d’objets coupants ou contondants à portée immédiate

Dans les espaces collectifs :

  • Coin repas sécurisé : chaise stable, surveillance rapprochée
  • Éviter les sources lumineuses stroboscopiques (animations, télévision)
  • Sensibilisation de l’ensemble de l’équipe et des autres résidents (avec accord de la personne et de la famille)

Activités et animations :

  • Privilégier les activités calmes : lecture, musique douce, ateliers mémoire
  • Éviter la fatigue excessive, respecter les temps de repos
  • Adapter les sorties extérieures : accompagnement renforcé, éviter les lieux à risque (piscine non surveillée, escaliers raides)

Exemple concret : Un résident d’un EHPAD parisien, amateur de jardinage, présentait des crises focales. L’ergothérapeute a aménagé un poste de jardinage assis, avec outils adaptés et surveillance régulière. Les crises ont diminué grâce à la réduction du stress et à une activité valorisante, sans restriction excessive de l’autonomie.

Formation des familles et information des proches

Les familles doivent être associées à la démarche :

  • Explication du protocole de soins et de surveillance
  • Information sur les signes d’alerte
  • Transmission régulière des observations (cahier de liaison, entretiens)
  • Soutien psychologique (groupe de parole, lien avec associations comme FFRE – Fondation Française pour la Recherche sur l’Épilepsie)

Question fréquente : Faut-il informer systématiquement les autres résidents de la présence d’une personne épileptique ?

Réponse : Non, sauf accord explicite du résident ou de son représentant légal. La confidentialité médicale doit être respectée. En revanche, une sensibilisation générale sur l’épilepsie peut être organisée, sans cibler un individu en particulier.

Protocole de sortie sécurisée

Lors de sorties en famille ou thérapeutiques :

  • Fiche de sortie sécurisée : coordonnées du médecin traitant, traitement en cours, conduite à tenir en cas de crise
  • Trousse d’urgence : anticonvulsivant d’urgence si prescrit
  • Formation rapide des accompagnants : gestes essentiels, numéros d’urgence

Conseil opérationnel : Créez une fiche résumé épilepsie plastifiée, remise à chaque accompagnant lors des sorties, comportant les points clés de sécurité et les contacts d’urgence.


Vers une culture de la vigilance partagée et de l’amélioration continue

L’accompagnement des résidents épileptiques ne se résume pas à l’application de protocoles techniques. Il repose sur une culture institutionnelle de vigilance, portée par l’ensemble de l’équipe pluridisciplinaire.

Mise en place d’un référent épilepsie en EHPAD

Désigner un infirmier référent épilepsie permet de structurer la démarche :

  • Veille réglementaire et actualisation des protocoles
  • Formation interne continue
  • Audit annuel des pratiques
  • Interface avec les neurologues libéraux ou hospitaliers
  • Participation aux réseaux professionnels (réseaux gérontologiques, URPS)

Bénéfices observés :

  • Réduction de 40 % des hospitalisations évitables
  • Amélioration de la qualité de vie des résidents
  • Diminution de l’anxiété des équipes
  • Meilleure traçabilité et sécurité juridique

Analyse des événements indésirables

Toute crise avec complication (chute, traumatisme, état de mal) doit faire l’objet d’un retour d’expérience :

  1. Description factuelle de l’événement
  2. Analyse des causes (manque de surveillance, délai d’intervention, erreur médicamenteuse)
  3. Actions correctives (formation, ajustement du protocole, matériel adapté)
  4. Réévaluation à 3 et 6 mois

Outil recommandé : La méthode ALARM (Analyse des Leviers d’Amélioration de la Qualité et de la Sécurité en Santé) permet une approche structurée et non culpabilisante.

Intégration dans le projet de soins personnalisé

Le projet de soins du résident épileptique doit intégrer :

  • Objectifs thérapeutiques et de qualité de vie
  • Plan de surveillance (fréquence, outils)
  • Protocole médicamenteux détaillé
  • Adaptations environnementales
  • Rôle de chaque professionnel (IDE, AS, psychologue, ergothérapeute)
  • Évaluation semestrielle

Question fréquente : Comment gérer l’épilepsie chez un résident en fin de vie ?

Réponse : Les objectifs thérapeutiques évoluent vers le confort et la prévention des souffrances. Les traitements antiépileptiques peuvent être simplifiés, et les protocoles d’urgence adaptés aux directives anticipées. Une concertation éthique pluridisciplinaire est essentielle.

Ressources et outils disponibles

Pour aller plus loin :

  • HAS : Recommandations « Prise en charge de l’épilepsie de l’adulte et de l’adolescent »
  • Ligue Française Contre l’Épilepsie (LFCE) : supports pédagogiques, formations
  • FFRE : information grand public et professionnels
  • Réseaux gérontologiques régionaux : mise en lien avec neurologues et centres experts

Action immédiate : Inscrivez-vous aux newsletters professionnelles de la LFCE et de l’HAS pour recevoir les mises à jour réglementaires et scientifiques.


Mini-FAQ : vos questions essentielles sur l’épilepsie en EHPAD

Quelle est la différence entre crise épileptique et malaise vagal ?

La crise épileptique s’accompagne de mouvements anormaux (tonico-cloniques, automatismes), de confusion post-critique et d’amnésie de l’épisode. Le malaise vagal est une perte de connaissance brève, sans convulsion, avec reprise rapide et souvenir préservé. La surveillance cardiaque (pouls, tension) permet de différencier.

Un résident sous antiépileptique peut-il conduire un véhicule lors de sorties familiales ?

Non, sauf avis médical favorable et absence de crise depuis au moins 6 mois (réglementation du permis de conduire). La conduite automobile est strictement réglementée pour les personnes épileptiques. Le médecin traitant doit informer le résident et la famille.

Comment adapter les soins d’hygiène en cas de crise fréquente ?

Privilégier la douche assise avec siège de bain, présence permanente d’un AS, eau tiède (éviter les chocs thermiques), porte non verrouillée. Éviter les bains (risque de noyade). Planifier les soins aux moments de moindre risque (après la prise du traitement, en période de vigilance optimale).


Ce guide constitue une base opérationnelle pour structurer l’accompagnement des résidents épileptiques dans votre établissement. Chaque EHPAD doit l’adapter à son contexte, ses ressources et ses spécificités. La sécurité des résidents passe par la formation continue, la vigilance partagée et une coordination médicale renforcée. N’hésitez pas à solliciter l’appui des réseaux gérontologiques et des centres experts en épilepsie pour optimiser vos pratiques.

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