Comment construire une culture de bientraitance durable en EHPAD pour prévenir la maltraitance ?

Découvrez comment instaurer une culture de bientraitance en EHPAD : formation des équipes, outils d’évaluation, prévention de la maltraitance institutionnelle.

La bientraitance en EHPAD ne se décrète pas : elle se construit au quotidien, dans chaque geste, chaque parole, chaque décision d’équipe. Face aux risques de maltraitance institutionnelle et aux attentes croissantes des familles, les établissements doivent aujourd’hui structurer une véritable culture de la bientraitance. Cette démarche collective repose sur la formation continue des équipes, des outils d’évaluation fiables et un engagement éthique partagé. Cet article propose un cadre pratique pour ancrer durablement cette démarche dans votre établissement.


Installer une culture institutionnelle de la bientraitance : les fondations indispensables

La culture de la bientraitance dépasse largement le cadre des protocoles : elle irrigue l’ensemble de l’organisation, depuis le projet d’établissement jusqu’aux pratiques quotidiennes des aides-soignants. Elle nécessite un engagement visible de la direction, une communication claire des valeurs et une implication de tous les professionnels.

Selon l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements sociaux et médico-sociaux (ANESM, intégrée à la HAS), la bientraitance se définit comme « une culture inspirant les actions individuelles et les relations collectives au sein d’un établissement ». Elle repose sur le respect de la dignité, l’écoute active, la personnalisation de l’accompagnement et la prévention de toute forme de violence.

Les piliers d’une culture institutionnelle solide

Pour transformer cette ambition en réalité quotidienne, plusieurs leviers organisationnels doivent être activés :

  • Le projet d’établissement : il doit explicitement intégrer la bientraitance comme valeur centrale, avec des objectifs mesurables et un plan d’action pluriannuel.
  • La charte de bientraitance : document de référence co-construit avec les équipes, affiché dans les lieux de vie et remis aux familles lors de l’admission.
  • Les instances dédiées : comité de bientraitance, commission éthique, groupes de parole réguliers permettant aux professionnels d’exprimer leurs difficultés.
  • Les rituels managériaux : briefings quotidiens, retours d’expérience après incidents, valorisation des initiatives positives.

Exemple concret : un EHPAD de 80 lits en Bretagne a instauré un « temps d’écoute » hebdomadaire de 30 minutes pour chaque équipe, animé par l’IDEC. Les professionnels y partagent leurs questionnements éthiques sans jugement. Résultat : une baisse de 40 % des signalements internes et un turnover réduit de 25 % en deux ans.

À retenir : une culture de bientraitance efficace repose sur la transparence, la parole libérée et l’exemplarité du management.

Action immédiate : organisez ce trimestre une demi-journée de co-construction de votre charte de bientraitance avec représentants de chaque métier, résidents volontaires et familles. Faites-en un document vivant, relu chaque année.


Formation des équipes et supervision : investir dans les compétences relationnelles

Les formations bientraitance constituent le socle de la montée en compétences collectives. Elles ne peuvent se limiter à un module théorique lors de l’intégration : elles doivent être régulières, pratiques et adaptées aux réalités du terrain.

Les recommandations HAS de 2024 insistent sur la nécessité d’une formation initiale et continue pour tous les professionnels, y compris les personnels administratifs et techniques. L’objectif : garantir une culture partagée et des réflexes communs face aux situations à risque.

Les formats de formation efficaces

Type de formationPublic cibleFréquence recommandéeObjectif principal
Formation socle bientraitanceTous les professionnelsTous les 3 ansAcquérir les fondamentaux, connaître le cadre réglementaire
Ateliers pratiques (jeux de rôle)Aides-soignants, ASH, IDEAnnuelleDévelopper l’empathie, repérer les situations critiques
Supervision d’équipeÉquipe complèteTrimestrielleAnalyser les pratiques, libérer la parole sur les tensions
Formation éthique approfondieEncadrants, médecins, psychologuesBisannuelleStructurer la réflexion, animer des groupes éthiques
Sensibilisation des famillesProches, bénévolesÀ l’admission + annuelleCo-construire la bientraitance, prévenir les malentendus

Exemple concret : dans un EHPAD parisien, l’IDEC a mis en place des groupes d’analyse de pratiques mensuels animés par un psychologue extérieur. Chaque séance analyse un cas vécu (refus de soins, agressivité, fin de vie). Ces temps permettent de déculpabiliser, de mutualiser les solutions et de renforcer la cohésion d’équipe.

La supervision : un outil encore sous-exploité

La supervision diffère de la formation classique. Elle offre un espace sécurisé pour exprimer l’usure professionnelle, le doute, la culpabilité face à des actes involontairement maltraitants. Un superviseur externe (psychologue, formateur spécialisé) accompagne l’équipe dans l’analyse de situations complexes, sans jugement.

Les bénéfices mesurés :
– Diminution du sentiment d’isolement professionnel
– Meilleure gestion des émotions face aux comportements perturbateurs
– Réduction des arrêts maladie liés à l’épuisement
– Amélioration de la qualité relationnelle avec les résidents

Question fréquente : Combien coûte une supervision d’équipe ?
Entre 400 et 800 € par séance (2h, pour 10-12 professionnels), soit environ 3 000 € par an pour une structure de taille moyenne. Un investissement rentabilisé par la réduction du turnover et de l’absentéisme.

Action immédiate : budgétisez dès maintenant 4 séances de supervision pour l’an prochain. Commencez par l’équipe la plus exposée (unité protégée, par exemple). Évaluez l’impact sur le climat de travail après 6 mois.


Outils d’évaluation et prévention des risques de maltraitance institutionnelle

Évaluer la bientraitance ne relève pas du contrôle, mais du pilotage qualité. Les outils doivent permettre d’objectiver les pratiques, de repérer les signaux faibles et d’ajuster les dispositifs en continu.

La maltraitance institutionnelle désigne les dysfonctionnements organisationnels qui, sans intention de nuire, compromettent le bien-être des résidents : sous-effectifs chroniques, horaires rigides, toilettes à la chaîne, infantilisation du langage, absence d’intimité. Elle se distingue de la maltraitance individuelle, mais en constitue souvent le terreau.

Les outils d’évaluation recommandés par la HAS

  1. Grilles d’auto-évaluation : questionnaires structurés remplis par les équipes pour mesurer leur perception de la bientraitance. Exemple : grille ANESM « Évaluation interne de la bientraitance » (40 critères).
  2. Audits de pratiques : observations en situation réelle (toilettes, repas, animations) réalisées par des binômes pluridisciplinaires internes ou par un consultant externe.
  3. Indicateurs quantitatifs :

    • Nombre de chutes avec blessures
    • Taux de contention physique
    • Taux de prescription de psychotropes
    • Délai moyen de réponse aux sonnettes
    • Nombre de plaintes et réclamations
  4. Enquêtes de satisfaction : questionnaires auprès des résidents (adaptés aux capacités cognitives) et des familles, au moins une fois par an.
  5. Recueil des événements indésirables : tout professionnel doit pouvoir signaler facilement une situation préoccupante, via un formulaire anonyme ou nominatif, sans crainte de sanction.

Exemple concret : un EHPAD de Normandie a instauré un tableau de bord bientraitance mensuel, présenté en COPIL. Il croise 10 indicateurs (contentions, psychotropes, délais sonnettes, plaintes, turnover) et déclenche automatiquement un plan d’action si deux indicateurs se dégradent simultanément.

Prévenir les risques identifiés

Facteur de risqueSignal d’alerteAction préventive
Sous-effectif chroniqueRetards fréquents dans les soins, toilettes bâcléesRecrutement ciblé, formation aux gestes efficients, révision de l’organisation
Épuisement professionnelAugmentation des arrêts maladie, irritabilitéSupervision, groupes de parole, répartition de la charge mentale
Défaut de communicationInformations non transmises, soins non coordonnésDossier partagé numérique, transmissions structurées, briefings quotidiens
Formation insuffisanteGestes inappropriés, langage infantilisantPlan de formation annuel obligatoire, tutorat renforcé
Isolement du managementDirection déconnectée du terrainTemps managérial sur les unités, « vis ma vie » réguliers

Chiffre clé : selon une étude du Défenseur des droits (2024), 68 % des cas de maltraitance institutionnelle résultent d’un défaut d’organisation, non d’une intention de nuire.

Action immédiate : mettez en place dès ce mois un registre des événements indésirables accessible à tous (classeur, plateforme numérique). Analysez-les mensuellement en équipe pluridisciplinaire pour identifier les causes systémiques.


Relations avec les familles et dimension éthique : co-construire la confiance

Les familles sont des partenaires essentiels de la bientraitance. Leur implication, leur regard extérieur et leur connaissance intime du résident enrichissent la qualité de l’accompagnement. Mais cette relation peut aussi être source de tensions si elle n’est pas structurée.

Instaurer un dialogue continu et transparent

La transparence constitue le socle de la confiance. Elle passe par :

  • L’information en continu : compte-rendu systématique des chutes, hospitalisations, changements d’état, via téléphone, mails sécurisés ou application dédiée.
  • Les temps d’échange formalisés : réunion de projet personnalisé annuelle, rencontres à la demande, conseil de vie sociale.
  • La disponibilité de l’encadrement : l’IDEC, le médecin coordonnateur et le directeur doivent être joignables et réactifs.
  • La participation aux soins : encourager les familles à être présentes lors de certains moments (repas, toilette si souhaité, animations).

Exemple concret : un EHPAD lyonnais a créé un groupe de familles ambassadrices, impliqué dans l’élaboration des menus, le choix des animations et la relecture de documents administratifs. Ces familles deviennent relais positifs et médiatrices en cas de tension.

La place du comité d’éthique dans les décisions complexes

Les situations complexes (limitation de traitements, contention, refus de soins, fin de vie) nécessitent une réflexion éthique collective. Le comité d’éthique, pluridisciplinaire, offre un espace de délibération pour éclairer les décisions.

Composition recommandée :
– Médecin coordonnateur (président)
– IDEC
– Psychologue
– Représentants soignants (IDE, AS)
– Représentant des familles (CVS)
– Éventuellement un référent extérieur (philosophe, bénévole formé)

Cas pratique : Mme D., 89 ans, atteinte de démence sévère, refuse systématiquement les soins d’hygiène. L’équipe s’interroge sur la légitimité d’une contention douce lors de la toilette. Le comité d’éthique analyse la situation :
– Respect de l’autonomie : peut-on respecter le refus sans compromettre la dignité ?
– Bénéfices/risques : quelles conséquences d’une hygiène défaillante ?
– Alternatives : essayer d’autres moments, d’autres soignants, modifier l’approche ?

Après délibération, décision prise : toilettes au lit, par des AS familières, musique douce, fractionnement des soins. Réévaluation mensuelle. Aucune contention. La famille est associée et approuve.

À retenir : l’éthique n’est pas un luxe théorique, mais un outil opérationnel pour trancher les dilemmes du quotidien en préservant dignité et humanité.

Action immédiate : si vous n’avez pas de comité d’éthique, créez-le ce trimestre. Commencez par 3 réunions par an. Formalisez un règlement intérieur simple et communiquez son existence aux équipes et aux familles.


Passer de l’intention à la pratique : ancrer durablement la bientraitance

La bientraitance ne se proclame pas, elle se vit. Elle exige de la constance, de la vigilance et une remise en question permanente. Les établissements qui réussissent cette démarche partagent plusieurs caractéristiques communes.

Ils forment en continu, au-delà des obligations réglementaires. Ils ne se contentent pas d’un module e-learning annuel, mais créent des espaces de réflexion pratique ancrés dans le quotidien : analyses de pratiques, supervisions, groupes de parole.

Ils évaluent sans complaisance. Ils utilisent des indicateurs objectifs, croisent les sources (résidents, familles, professionnels, audits externes) et transforment chaque événement indésirable en opportunité d’amélioration.

Ils impliquent les familles comme partenaires, non comme contrôleurs. Ils valorisent leur expertise, les associent aux décisions et communiquent avec transparence, y compris sur les difficultés.

Ils structurent la réflexion éthique pour éviter que les décisions difficiles ne reposent sur un seul professionnel. Le comité d’éthique devient une ressource accessible, non une instance lointaine.

Ils investissent dans le management de proximité. L’IDEC, le responsable d’hébergement et les cadres de santé passent du temps sur les unités, écoutent les équipes, valorisent les initiatives et détectent les signaux de tension.

Enfin, ils capitalisent sur les réussites. Chaque bonne pratique est documentée, partagée, célébrée. La bientraitance devient progressivement une fierté collective, un marqueur identitaire de l’établissement.

Exemple inspirant : un EHPAD rural de 60 lits a créé un livret de bonnes pratiques co-écrit par les aides-soignants, enrichi chaque trimestre. Il compile des astuces concrètes : comment rassurer une personne désorientée, adapter la communication selon les troubles, personnaliser les rituels du coucher. Ce livret, remis à chaque nouvel arrivant, devient la référence terrain, plus efficace que tout protocole descendant.


Questions fréquentes

Comment convaincre les équipes de s’engager dans une démarche bientraitance sans qu’elles se sentent accusées ?
Présentez la démarche comme un soutien face aux difficultés quotidiennes, non comme un contrôle. Valorisez ce qui fonctionne déjà, impliquez les professionnels dans la co-construction des outils et garantissez des espaces de parole sans jugement.

Quels financements mobiliser pour la formation et la supervision ?
Utilisez les crédits du plan de développement des compétences, les fonds OPCO Santé, les subventions ARS (souvent fléchées sur la qualité de vie au travail et la prévention des risques). Certaines formations peuvent être prises en charge à 100 %.

Que faire face à un professionnel dont les pratiques posent question ?
Ne jamais banaliser. Organiser un entretien individuel confidentiel pour comprendre le contexte (épuisement, méconnaissance, difficulté personnelle). Proposer une formation, un accompagnement ou, si nécessaire, un repositionnement. En cas de maltraitance avérée, déclencher la procédure disciplinaire et le signalement réglementaire.

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