Le décès d’un résident en EHPAD représente un moment critique qui mobilise simultanément plusieurs dimensions : humaine, organisationnelle, éthique et réglementaire. Chaque année, près de 150 000 personnes décèdent en établissement médico-social en France. Face à cette réalité, les équipes doivent conjuguer accompagnement empathique des familles endeuillées et respect strict des procédures. Cet article propose un cadre structuré pour accompagner dignement les proches tout en sécurisant les pratiques professionnelles dans un contexte émotionnellement chargé.
Sommaire
- Protocoles d’accompagnement du deuil : cadrer pour mieux accompagner
- Organisation des derniers moments : anticiper pour apaiser
- Gestion du décès et soutien psychologique aux familles
- Éthique, réglementation et droits des familles
- Transformer l’épreuve en opportunité d’humanité
- FAQ : Vos questions sur l’accompagnement du deuil en EHPAD
Protocoles d’accompagnement du deuil : cadrer pour mieux accompagner
La mise en place d’un protocole formalisé d’accompagnement du deuil constitue le socle d’une prise en charge respectueuse et sécurisée. Ce protocole doit définir précisément les rôles de chaque professionnel, les étapes à suivre et les délais à respecter.
Le protocole type comprend généralement quatre phases distinctes : la préparation anticipée (dès l’entrée du résident), l’accompagnement des derniers moments, la gestion immédiate post-mortem, et le suivi dans les semaines suivant le décès.
La phase de préparation anticipée s’avère déterminante. Elle inclut la constitution du dossier de liaison avec les directives anticipées, les souhaits funéraires, les coordonnées des pompes funèbres choisies et la désignation de la personne de confiance. Selon une étude de la Fondation Œuvre de la Croix Saint-Simon, seulement 37 % des résidents ont formalisé leurs volontés de fin de vie à leur entrée en établissement.
Les étapes opérationnelles du protocole
- Identification du référent famille dès l’admission
- Recueil des directives anticipées et souhaits funéraires
- Constitution du dossier de liaison accessible 24h/24
- Formation des équipes aux gestes et postures d’accompagnement
- Préparation logistique : chambre mortuaire, matériel de toilette mortuaire
- Circuit décisionnel clair pour les situations d’urgence
Un protocole efficace n’est pas celui qui prévoit tout, mais celui qui offre un cadre sécurisant permettant aux professionnels d’ajuster leur accompagnement à chaque situation particulière.
Exemple concret : L’EHPAD Les Jardins d’Automne (Rhône) a développé une « fiche réflexe décès » plastifiée disponible dans chaque bureau de soins. Elle récapitule en une page les six premières actions à mener, les numéros à appeler et les documents à préparer. Résultat : le délai moyen de prise en charge est passé de 45 à 15 minutes.
La traçabilité constitue un impératif réglementaire et éthique. Chaque intervention auprès de la famille doit être consignée dans le dossier du résident : qui a été prévenu, à quelle heure, quelles informations ont été transmises, quelles demandes ont été formulées.
Action immédiate : Organisez une réunion pluridisciplinaire pour cartographier votre circuit actuel du décès, identifier les zones de flou et formaliser un protocole écrit validé par la direction et le médecin coordonnateur.
Organisation des derniers moments : anticiper pour apaiser
L’anticipation de la phase de fin de vie conditionne la qualité de l’accompagnement et réduit significativement le stress des équipes comme des familles. Cette organisation repose sur une coordination étroite entre le médecin coordonnateur, l’IDEC, le référent du résident et la famille.
La mise en place d’une démarche palliative structurée implique plusieurs leviers opérationnels. L’identification précoce des résidents en fin de vie via des outils d’évaluation comme l’échelle PALLIA-10 permet d’activer les ressources adaptées : avis d’une équipe mobile de soins palliatifs, renforcement de la présence soignante, aménagement de la chambre.
Les aménagements pratiques font toute la différence pour les familles :
- Installation d’un lit d’appoint ou fauteuil confortable pour les veillées
- Accès libre 24h/24 sans restriction horaire
- Possibilité de prendre les repas dans la chambre
- Mise à disposition d’une kitchenette (thé, café)
- Espace d’intimité préservé (signalétique discrète sur la porte)
Comment communiquer avec empathie lors des derniers moments ?
La communication empathique requiert des compétences spécifiques que peu de professionnels ont acquises en formation initiale. Elle repose sur quatre piliers : l’écoute active, la validation des émotions, la transparence informative et le respect du rythme de chacun.
Concrètement, cela signifie :
- Annoncer les évolutions de l’état de santé sans dramatiser ni minimiser
- Utiliser un vocabulaire accessible, éviter le jargon médical
- Proposer systématiquement un temps d’échange en lieu calme
- Reformuler pour s’assurer de la bonne compréhension
- Accepter les silences, respecter les larmes
- Ne jamais promettre ce qui ne peut être garanti
| Formulation à éviter | Formulation recommandée |
|---|---|
| « Ne vous inquiétez pas » | « Je comprends votre inquiétude, voici ce que nous mettons en place… » |
| « Il ne souffre pas » (affirmation absolue) | « Nous surveillons attentivement et adaptons le traitement antalgique » |
| « C’est normal à son âge » | « L’évolution que nous observons correspond à l’avancée de la maladie » |
| « Ça va aller » | « Nous sommes là pour l’accompagner et vous soutenir » |
Témoignage : Marie, IDE dans un EHPAD breton, a participé à une formation sur l’annonce et l’accompagnement du deuil. « Avant, je fuyais les familles par peur de mal faire ou de craquer. Maintenant, j’ai des outils concrets. Je sais poser les mots, créer un espace de parole. Les familles me remercient de cette présence. »
Le livret de liaison famille-équipe représente un outil précieux pendant cette période. Laissé dans la chambre, il permet à chaque professionnel de noter les soins prodigués, l’évolution observée, et aux familles d’exprimer leurs questions ou remarques. Ce support crée une continuité rassurante.
Action immédiate : Identifiez dans votre équipe deux référents « accompagnement de fin de vie » et inscrivez-les à une formation spécialisée en soins palliatifs ou communication difficile. Leur expertise bénéficiera ensuite à l’ensemble des professionnels.
Gestion du décès et soutien psychologique aux familles
Le moment du décès et les heures qui suivent nécessitent une organisation millimétrique et une présence humaine irréprochable. La famille traverse un moment de sidération où chaque geste, chaque parole compte.
Protocole immédiat post-mortem
Dès le constat du décès par le médecin, plusieurs actions s’enchaînent selon un ordre précis :
- Appel de la famille si elle n’est pas présente (ton posé, invitation à venir sans urgence si possible)
- Préservation de la dignité : fermeture des yeux, position respectueuse, chambre rangée
- Toilette mortuaire réalisée avec soin, idéalement en présence des proches s’ils le souhaitent
- Temps de recueillement : la famille doit pouvoir rester autant qu’elle le souhaite
- Remise des effets personnels inventoriés et conditionnés avec délicatesse
- Information sur les démarches administratives sans noyer la famille de papiers
La toilette mortuaire ritualisée revêt une dimension symbolique forte. Certains établissements proposent aux familles d’y participer : choix des vêtements, musique douce, présence d’un objet personnel. Cette implication active peut faciliter le processus de deuil.
Selon une enquête menée par l’Association française de soins palliatifs, 68 % des familles qui ont pu accompagner physiquement leur proche jusqu’au bout (présence au moment du décès, participation aux soins post-mortem) rapportent un vécu de deuil moins traumatisant.
Le soutien psychologique doit être proposé systématiquement, sans attendre que la famille le demande. Plusieurs modalités existent :
- Entretien immédiat avec la psychologue de l’établissement (si disponible) ou le cadre de santé
- Brochure d’accompagnement du deuil remise avec coordonnées des associations d’aide
- Appel de suivi à J+7 et J+30 pour prendre des nouvelles
- Invitation à une cérémonie commémorative annuelle (arbre du souvenir, temps spirituel)
- Permanence téléphonique dédiée les premières semaines
Gérer les situations complexes
Certains décès génèrent des traumatismes particuliers pour les équipes : suicide, mort violente, décès d’un résident jeune, accumulation de plusieurs décès rapprochés. Ces situations nécessitent un débriefing structuré dans les 48 heures.
Tableau des ressources de soutien psychologique :
| Public concerné | Ressource mobilisable | Délai d’intervention |
|---|---|---|
| Famille | Psychologue de l’établissement | Immédiat |
| Famille | Groupe de parole deuil (associatif) | Sous 15 jours |
| Professionnels | Débriefing d’équipe | Sous 48h |
| Professionnels | Supervision externe | Mensuel |
| Tous | Ligne d’écoute Fédération Jalmalv | 24h/24 |
Action immédiate : Créez un « kit famille endeuillée » contenant : brochure sur le deuil, coordonnées des associations locales, texte sur les étapes du deuil, carte avec contact direct de l’établissement. Remettez-le systématiquement lors de l’entretien de clôture.
Éthique, réglementation et droits des familles
L’accompagnement du deuil s’inscrit dans un cadre éthique et réglementaire strict que tout établissement doit maîtriser. La Loi Claeys-Leonetti de 2016, renforcée par les recommandations HAS, définit précisément les droits des personnes en fin de vie et de leurs proches.
Les obligations réglementaires incontournables
Le respect des directives anticipées constitue une obligation légale. Depuis 2016, elles s’imposent au médecin sauf exception médicale documentée. Leur recueil doit être systématisé dès l’admission et actualisé régulièrement.
La désignation de la personne de confiance permet à celle-ci d’être consultée si le résident ne peut plus exprimer sa volonté. Elle doit être clairement identifiée dans le dossier et ses coordonnées accessibles rapidement.
Les obligations déclaratives varient selon les circonstances du décès :
- Décès naturel attendu : déclaration classique en mairie
- Décès subit ou inexpliqué : information du procureur selon le protocole départemental
- Décès dans les 24h suivant une chute : déclaration en événement indésirable grave
- Décès dans un contexte épidémique : procédure spécifique ARS
Liste de vérification réglementaire :
- [ ] Directives anticipées présentes et datées de moins de 3 ans
- [ ] Personne de confiance identifiée avec coordonnées à jour
- [ ] Consentement éclairé pour toute limitation thérapeutique
- [ ] Traçabilité des décisions collégiales en dossier
- [ ] Respect du délai légal avant mise en bière (24h minimum, sauf dérogation)
- [ ] Conservation des effets personnels selon procédure interne
- [ ] Remise du certificat de décès et documents administratifs
Questions éthiques fréquentes en EHPAD
Jusqu’où aller dans les soins ? Cette question traverse quotidiennement les équipes. La démarche éthique impose une réflexion collégiale associant médecin, équipe soignante, résident (si possible) et famille. La proportionnalité des soins doit être réévaluée régulièrement.
Faut-il toujours hospitaliser ? L’hospitalisation en fin de vie n’est pas systématique. Une étude de la DREES montre que 40 % des hospitalisations en dernière semaine de vie depuis un EHPAD pourraient être évitées avec une meilleure anticipation palliative. Le maintien dans l’établissement, environnement familier, constitue souvent la meilleure option si les moyens d’accompagnement sont présents.
Comment gérer les désaccords familiaux ? Les conflits entre membres de la famille ou avec l’équipe surviennent dans environ 15 % des situations. Le recours à la médiation (interne via la direction, ou externe via médiateur professionnel) permet souvent de débloquer les situations. La traçabilité de toutes les discussions et décisions protège juridiquement l’établissement.
L’éthique du soin ne consiste pas à faire tout ce qui est techniquement possible, mais à faire ce qui est humainement souhaitable pour la personne accompagnée.
La question de la sédation profonde et continue est désormais encadrée par la loi. Elle peut être mise en œuvre en EHPAD sous réserve de conditions strictes : souffrance réfractaire, pronostic vital engagé à court terme, décision collégiale documentée. Le protocole doit être formalisé avec le médecin coordonnateur et validé par la direction.
Exemple de mise en pratique : L’EHPAD Saint-Joseph (Gironde) a instauré des réunions éthiques trimestrielles réunissant direction, médecin coordonnateur, IDEC, psychologue et représentants des soignants. Chaque situation complexe rencontrée est analysée collectivement. Un compte-rendu anonymisé est diffusé à l’ensemble du personnel, créant progressivement une culture éthique partagée.
Action immédiate : Organisez un atelier de deux heures sur « les dilemmes éthiques en fin de vie » avec cas pratiques issus de votre établissement. Formalisez ensuite une procédure de réflexion éthique applicable par tous.
Transformer l’épreuve en opportunité d’humanité
L’accompagnement des familles endeuillées constitue un révélateur de la qualité globale d’un établissement. Bien mené, il transforme une épreuve douloureuse en dernier témoignage de respect et d’humanité envers le résident et ses proches.
Les établissements qui excellent dans cet accompagnement partagent des caractéristiques communes : protocoles clairs mais non rigides, formation continue des équipes, culture du débriefing, place centrale donnée aux souhaits de la personne, disponibilité émotionnelle préservée malgré la charge de travail.
Le retour d’expérience des familles représente une source précieuse d’amélioration continue. Certains EHPAD envoient un questionnaire de satisfaction 2 à 3 mois après le décès. Les réponses permettent d’identifier les points forts à consolider et les axes de progrès.
Ressources pratiques pour les professionnels
Formations recommandées :
- Soins palliatifs niveau 1 (DPC)
- Communication difficile et annonce
- Gestes et postures en fin de vie
- Éthique et pratiques professionnelles
- Prise en charge du deuil pathologique
Outils mobilisables :
- Application mobile Palli@miens pour l’évaluation des symptômes
- Guide HAS « Comment mettre en œuvre une sédation profonde et continue »
- Kit pédagogique SFAP sur l’accompagnement du deuil
- Répertoire national des équipes mobiles de soins palliatifs
La prévention de l’épuisement professionnel lié à l’exposition répétée au deuil passe par plusieurs leviers : rotation des référents famille, groupes d’analyse de pratiques, reconnaissance institutionnelle de la charge émotionnelle, accès facilité à un soutien psychologique.
Les cérémonies collectives de commémoration, organisées une à deux fois par an, permettent aux équipes et aux familles qui le souhaitent de se retrouver. Ces moments symboliques marquent la reconnaissance de chaque vie accueillie et accompagnée. Ils contribuent à donner du sens au travail quotidien des professionnels.
L’excellence dans l’accompagnement du deuil ne relève pas d’un surplus de moyens mais d’une organisation réfléchie, d’une posture professionnelle ajustée et d’une conviction partagée : chaque résident mérite un accompagnement digne jusqu’au bout, et chaque famille mérite d’être soutenue dans l’épreuve.
En 2025, les EHPAD qui excellent sont ceux qui ont compris que la qualité d’un établissement se mesure aussi à la manière dont on y quitte la vie. Ils ont formalisé leurs pratiques sans les rigidifier, formé leurs équipes sans les formater, et placé l’humain au centre, même – et surtout – dans les derniers instants.
FAQ : Vos questions sur l’accompagnement du deuil en EHPAD
Combien de temps la famille peut-elle rester auprès du défunt ?
Aucune limite horaire n’est imposée réglementairement. L’établissement doit permettre aux proches de rester autant qu’ils le souhaitent, dans le respect des autres résidents. En pratique, prévoir la possibilité de veillée jusqu’à l’intervention des pompes funèbres, généralement dans les 24 à 48 heures.
Que faire quand aucune famille n’est joignable ou présente ?
L’établissement active alors la procédure « décès sans famille ». Le maire de la commune devient responsable des obsèques. Tous les efforts de recherche doivent être documentés. Un référent de l’établissement peut assister à la cérémonie, geste humain apprécié.
Comment gérer les objets de valeur et effets personnels après le décès ?
Établissez un inventaire exhaustif en présence de deux professionnels, signé et daté. Remettez les effets à la famille contre décharge. En l’absence de famille, conservez-les selon la procédure légale (durée variable selon la nature des biens) avant transmission au service des domaines.

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