Cinq risques psychosociaux menacent vos équipes infirmières en EHPAD

En France, 67% des infirmières souffrent d’épuisement professionnel, surtout en EHPAD, où la charge de travail et les violences sont préoccupantes. La pandémie a accentué ces problèmes, révélant des dysfonctionnements qui nécessitent des réponses urgentes pour préserver la qualité des soins et la santé du personnel.

67% des infirmières françaises déclarent un épuisement professionnel, le taux le plus élevé au monde. Cette réalité alarmante touche particulièrement les EHPAD, où l’indice de fréquence des accidents du travail atteint 100 pour 1000 salariés, soit trois fois la moyenne nationale. Les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes concentrent aujourd’hui les situations les plus critiques en matière de risques psychosociaux (RPS), avec des répercussions directes sur la qualité des soins et la pérennité des équipes. Cette crise sans précédent s’est amplifiée depuis la pandémie, révélant des dysfonctionnements structurels qui appellent des réponses urgentes de la part des directeurs, médecins coordonnateurs et cadres décideurs.

L’épuisement professionnel frappe massivement les équipes

L’épuisement émotionnel et la surcharge de travail constituent le premier risque psychosocial identifié chez les infirmières en EHPAD. Les chiffres de l’Ordre National des Infirmiers sont sans appel : 42% des infirmiers ressentent actuellement un syndrome d’épuisement professionnel, et ce pourcentage grimpe à 77,9% si l’on inclut tous les symptômes de burn-out. Plus inquiétant encore, 20% des infirmières développent un burn-out après seulement cinq ans d’exercice.

Cette réalité se traduit par des situations de terrain dramatiques. Une enquête de la CFDT révèle des ratios alarmants : jusqu’à 51 patients par infirmière dans certains EHPAD, avec des pics à 1 infirmière pour 33 patients le matin et 38 l’après-midi. « Seule infirmière pour plus de 90 patients, ayant le sentiment de bâcler le travail et de totalement négliger la relation humaine », témoigne Mathilde Basset, 25 ans, dans son livre « Rendez-moi mon métier, Madame la Ministre ! ».

Les témoignages recueillis illustrent cette détresse quotidienne. Amélie, infirmière ayant quitté son poste après un burn-out, confie : « Les résidents nous parlent et nous sommes déjà dans l’autre chambre : c’est cela qui m’a fait partir. Je me sentais submergée, avec cette impression de ne jamais y arriver. » Cette course permanente se matérialise concrètement : les infirmières parcourent plus de 10 kilomètres par jour lors de leurs postes de 7h30 à 8h de soins.

Violence et agressions dégradent l’environnement professionnel

Le deuxième risque majeur concerne les violences subies par les infirmières, qu’elles proviennent des résidents, des familles ou des collègues. L’Ordre National des Infirmiers révèle que deux infirmiers sur trois déclarent avoir été victimes de violences, avec 15% des incidents violents rapportés en EHPAD. Cette violence revêt plusieurs formes : 66% proviennent des patients, 43% des proches et 31% d’autres soignants ou de la direction.

Les troubles cognitifs des résidents, présents chez 42% des auteurs de violence selon l’ONI, génèrent des agressions physiques et verbales régulières. Les familles, souvent épuisées et angoissées, transfèrent leur détresse sur les équipes soignantes. Une infirmière coordinatrice témoigne : « Je rencontre ces familles épuisantes et épuisées. Leur propos parfois si violents, accusateurs, agressifs, déconcertent l’équipe. »

Les statistiques nationales confirment cette tendance préoccupante : 35 infirmières sont agressées chaque jour dans les établissements de santé, soit 12 638 agressions annuelles. Ces violences ont des répercussions durables sur la santé mentale des soignantes, constituant un facteur déclencheur dans 50% des cas d’affections psychiques reconnues comme accidents du travail.

Le manque de reconnaissance mine la motivation professionnelle

Le troisième risque psychosocial identifié est le manque de reconnaissance et la dévalorisation du métier infirmier en EHPAD. Cette problématique prend plusieurs dimensions : 72% des infirmiers ressentent des violences institutionnelles, caractérisées par 55% de manque de soutien dans la pratique quotidienne, 56% de manque de reconnaissance des compétences et 54% de déficit de reconnaissance financière.

Joëlle, victime d’un burn-out, explique : « Mon burn-out, je n’en ai pas eu conscience. L’élément déclencheur a été le non-partage de mes valeurs à mon travail. Je recevais beaucoup de mépris et de réflexions de la part de ma hiérarchie. À force de lutter pour des choses qui auraient dû couler de source, je me suis épuisée. »

Cette dévalorisation se traduit également par des écarts salariaux significatifs entre secteurs public et privé, des conditions de travail dégradées et une image sociale du métier peu valorisante. Seulement 9% des infirmiers expriment de la satisfaction professionnelle, contre 72% qui ressentent de la lassitude et 51% de la colère.

L’impuissance face aux contraintes organisationnelles

Le quatrième risque concerne le sentiment d’impuissance et le « travail empêché », défini par la DREES comme « un travail qui ne peut être mené à bien du fait des contraintes de l’organisation ». Cette frustration professionnelle touche particulièrement les infirmières d’EHPAD, confrontées à l’écart grandissant entre leurs valeurs soignantes et la réalité organisationnelle.

Les témoignages illustrent cette souffrance éthique : « Nos conditions de travail sont vraiment dégradées, pas le temps de faire du lien social, si indispensable auprès de nos aînés. C’est l’usine et on se pose des questions indécentes : qui va manger en premier ? quel patient va avoir sa toilette ? et quel autre ne l’aura pas par manque de temps ? »

Cette tension génère une maltraitance involontaire que décrit une soignante : « Il arrive que les infirmiers aient peur de commettre des erreurs en raison de leur état de fatigue. La maltraitance vient quand il n’y a plus de mots. Pour se protéger, le soignant peut en venir à déshumaniser sa relation à l’autre. »

L’isolement professionnel amplifie les difficultés

Le cinquième risque psychosocial identifié est l’isolement professionnel et le manque de soutien, particulièrement marqué en EHPAD. Cette situation s’aggrave lors des gardes de nuit, où les infirmières se retrouvent souvent seules face à des situations médicales complexes. « Les infirmières sont les référentes la journée, mais la nuit, il n’y a personne », souligne Catherine Palfini, aide-soignante représentante FO.

Le manque de médecins coordinateurs accentue cet isolement. Amélie témoigne : « Dans notre EHPAD, nous avions un médecin de garde à partir de 20h. Les médecins de ville terminent eux à 18h. Pendant deux ans, on a vécu avec l’angoisse qu’il arrive quelque chose dans l’intervalle. » Cette situation génère un stress permanent et une responsabilité médicale écrasante pour les infirmières.

Des données chiffrées qui alertent sur l’urgence d’agir

Les indicateurs de santé au travail dans les EHPAD révèlent une situation critique. Le taux d’absentéisme atteint 10,2% (contre 7,9% avant la COVID), avec 32% des arrêts de longue durée liés aux troubles psychologiques. Le turn-over médian s’élève à 9,3 en EHPAD contre 8,3 pour l’ensemble du secteur médico-social, et 15% du personnel a moins d’un an d’ancienneté.

Les coûts sont considérables : l’exemple du CCAS de Rennes, gérant 6 EHPAD publics, illustre cette crise avec 71 postes vacants en février 2024 et 740 095 euros de dépenses d’intérim en 2023, représentant 4% des charges de personnel. À l’échelle nationale, 22% des infirmiers envisagent de cesser leur activité, menaçant la continuité des soins.

L’impact COVID révélateur d’une crise structurelle

La pandémie a agi comme un révélateur et un amplificateur des fragilités préexistantes. Les infirmières françaises détiennent le record mondial d’épuisement professionnel avec 67% de taux d’épuisement, contre 38% dans les pays nordiques. 98% des soignants déclarent avoir ressenti des symptômes de burn-out à un moment donné pendant la crise.

Les EHPAD ont été particulièrement touchés par la confrontation accrue à la mort, les réorganisations constantes et l’isolement des résidents générant une charge émotionnelle supplémentaire. Cette crise a accéléré les intentions de reconversion, passant de 67,1% en 2021 à 71,3% en 2022.

Obligations légales et solutions concrètes

Le cadre réglementaire français impose aux employeurs d’EHPAD une obligation de résultat en matière de prévention des RPS. L’article L. 4121-1 du Code du travail établit le devoir d’assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des salariés. Cette obligation se traduit par l’intégration des RPS au Document Unique d’Évaluation des Risques (DUER) et la mise en place de mesures préventives concrètes.

L’ANACT préconise une démarche en 5 étapes : cadrage avec engagement de la direction, diagnostic participatif, analyse des situations de travail, plan d’actions organisationnelles et suivi dans la durée. Les établissements exemplaires démontrent l’efficacité de ces approches systémiques, combinant management de proximité renforcé, espaces de parole institutionnalisés et dispositifs de soutien psychologique.

Recommandations stratégiques pour les décideurs

Face à cette crise des RPS, plusieurs leviers d’action s’offrent aux directeurs d’EHPAD. L’amélioration des ratios d’encadrement constitue la priorité absolue : passer du ratio actuel de 0,63 soignant pour 10 résidents à l’objectif gouvernemental de 6 professionnels pour 10 résidents d’ici 2027. Cette amélioration pourrait réduire d’un tiers le taux d’absentéisme selon les projections.

L’organisation du travail doit être repensée : plannings adaptés respectant l’équilibre vie professionnelle-personnelle, temps de transmission suffisants, réduction des tâches administratives chronophages. La formation spécialisée en gériatrie, gestion de l’agressivité et techniques de communication s’avère indispensable.

Les dispositifs de soutien doivent être systématisés : cellules d’écoute, accompagnement psychologique, groupes de parole post-décès, débriefing après incidents. La reconnaissance professionnelle passe par la valorisation des compétences, l’évolution de carrière et l’amélioration des conditions salariales.

En bref

Les cinq risques psychosociaux identifiés – épuisement professionnel, violences, manque de reconnaissance, travail empêché et isolement – constituent un défi majeur pour les EHPAD français. Avec 50 000 recrutements prévus d’ici 2027 et +1 million de personnes âgées en perte d’autonomie attendues entre 2020 et 2040, l’enjeu dépasse la seule préservation du bien-être des soignants pour toucher à la viabilité même du système de prise en charge gériatrique.

Les établissements qui investissent dès aujourd’hui dans une approche globale de prévention des RPS ne se contentent pas de respecter leurs obligations légales : ils se dotent d’un avantage concurrentiel décisif pour attirer et fidéliser les talents dans un contexte de pénurie croissante. La qualité des soins aux résidents et la performance économique des établissements passent désormais impérativement par la préservation de la santé mentale des équipes soignantes.

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